
En plus de sa valeur intrinsèque, la végétation en ville fournit de multiples « services » aux citadins : réduction des îlots de chaleur, régulation des pollutions atmosphériques, rôle dans la santé mentale et physique des citadins, bien-être, relations sociales, ambiances… Cependant, les végétaux installés en ville sont pour la plupart des espèces horticoles et les plantations sont souvent monospécifiques (toitures de sédum ou alignement de platanes, par exemple). Cela a pour conséquence de les rendre fragiles à tout accident climatique ou sanitaire.
L’orme a ainsi disparu du sud de la France dans les années 1970, laissant des villes sans arbres ou presque. C’est une biodiversité en ville qu’il faudrait à l’inverse favoriser, c’est-à-dire une diversité d’espèces de préférence locales et qui ont des relations entre elles ainsi qu’avec leur habitat. Un tel écosystème serait plus équilibré et plus résilient.
La biodiversité au service d’un urbanisme écosystémique
En plus de la végétalisation en cours et de l’idée d’intégrer la biodiversité dans les villes qui fait son chemin, la prochaine étape devrait être de penser un urbanisme réellement écosystémique. Il s’agit désormais de s’inspirer des fonctionnements des écosystèmes pour concevoir des projets urbains : non seulement penser les espaces à planter comme des écosystèmes, lesquels vont rendre des services aux citadins, mais aussi, en retour, prendre soin de cette nature et organiser la ville pour l’ensemble du vivant, humain et non-humain. Une durabilité de la ville pensée à travers le concept de « One Health » (« une seule santé ») et une approche systémique.
Modifier les stratégies de construction urbaine
Comment les projets urbains sont-ils menés ? De manière générale, il s’agit avant tout de répondre à la demande d’une collectivité de développer une capacité en logements, en bureaux ou en commerces par la réalisation de bâtiments. Pour ce faire, la méthode de la « table rase » demeure courante : on réalise un plan du bâti et des voies de mobilité que l’on complète ensuite par des éléments de paysage. Un « urbanisme écosystémique » ne peut pas se suffire de cette méthode. Deux objectifs, aux deux extrémités du phasage du projet, mériteraient d’être institués : un premier travail de diagnostic tout en amont de la conception et un autre après la livraison, de façon à pouvoir suivre l’évolution de l’aménagement construit ou planté.
Un territoire urbanisé s’intègre dans une géographie et une écologie fonctionnelle globale dont l’urbanisme doit se nourrir. Ainsi, la démarche de « diagnostics croisés », réalisée bien avant tout préprojet d’aménagement, doit partir d’un état identifié et cartographié des différentes composantes d’un territoire. Chaque spécialiste établit son propre diagnostic (écologique, foncier, géographique, social, commercial, de mobilité…) afin qu’ultérieurement le croisement de ces diagnostics permette de faire émerger différents scénarios hiérarchisant les objectifs visés. Cette démarche, déjà testée à plusieurs reprises, a prouvé sa capacité à faire émerger des innovations sur les réhabilitations d’espaces publics.
Pour une gestion plus « adaptative » de la ville
Un autre obstacle à la mise en place d’un véritable « urbanisme écosystémique » est le manque de suivi après la livraison du projet ou de la construction. Qu’il s’agisse d’un bâtiment, d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) ou même d’un paysage, de construction neuve ou de réhabilitation, il n’existe pas d’analyse, voire de simple constat de l’évolution de l’aménagement après la réception des travaux. Il n’y a ainsi ni remise en cause du projet, ni, à l’inverse, de moyen de conserver l’esprit initial de la conception.
De manière générale, après sa livraison, un architecte ou un urbaniste n’est lié à son projet que par la garantie décennale, c’est-à-dire la responsabilité des constructeurs qui couvre les dommages de construction pendant les dix années qui suivent. Il n’y a que très rarement un suivi de l’évolution des qualités des bâtiments, des modifications de pratiques ou d’usages des espaces intérieurs ou extérieurs, ou de l’apparition de nouvelles contraintes changeant les donnes des premières conceptions. Ce manque de feed-back est problématique, les urbanistes n’étant pas mis en capacité d’analyser leur travail a posteriori ou de le remettre en question. Ainsi, les exemples sont nombreux d’évolution non souhaitée d’une construction parce que mal conçue pour durer dans le temps.
Si pour les bâtiments, la prise en compte de leur évolution à long terme est complexe à mettre en place, il n’est désormais plus possible de rester sur un livrable définitif dans le champ de l’urbanisme ou du paysagisme. La ville durable impose une adaptation qui nécessite parfois de redresser certains projets ou de repenser les pratiques des espaces publics. Un urbaniste qui analyserait régulièrement l’évolution de son projet pourrait non seulement mieux comprendre comment son travail est vécu et perçu dans le temps, mais aussi comment il peut être modifié selon certaines contraintes nouvelles.
Cette nouvelle forme de gestion, que l’on peut appeler « adaptative », se définit comme l’ajustement périodique d’un programme d’action en fonction des différents résultats déjà obtenus. Une telle forme d’apprentissage impose à la fois un suivi fondé sur quelques indicateurs et une co-construction des réflexions et des décisions, à l’aide par exemple de démarches participatives.
Des solutions inspirées de la nature
L’architecture s’inspire déjà de solutions fondées sur la nature. On peut citer en exemple la ventilation des bâtiments sur le modèle des termitières ou bien les toitures végétalisées qui recréent des écosystèmes. Mais en ce qui concerne l’urbanisme, la démarche est moins évidente, et la biodiversité est encore peu intégrée dans la conception des projets. Toutefois, la prise en compte des services écosystémiques est déjà en marche, comme le montrent les innovations dans le domaine de la gestion de l’eau (récupération des eaux de pluie, bassin de rétention, irrigation raisonnée des plantations, etc.).
De nouvelles recherches sont en cours sur les stratégies et méthodologies à développer pour mieux comprendre les interrelations entre système écologique, système social et système économique des sites. La réflexion sur les nouvelles formes urbaines, c’est-à-dire sur la manière dont le bâti, la voirie et l’espace public s’organisent spatialement, est un champ de recherche à peine esquissé mais en développement.
Une transition économique, écologique et sociale pour une ville durable imposerait donc un renversement complet des paradigmes. Parmi les premiers leviers d’innovation, on pourrait inviter les écologues, tant dans les services d’urbanisme que dans les consortiums de projet. Cela permettrait que l’adaptabilité et la résilience des villes se construisent en considérant enfin que le non-bâti est aussi important que le bâti.