
En dépit d’une crise sans précédent, les migrants ont fait preuve d’une grande solidarité vis-à-vis de leur pays d’origine. Avec une baisse de seulement 1,6 %, les envois d’argent internationaux ont plutôt bien résisté à la forte détérioration de la situation économique des principaux pays d’accueil, aux mesures de confinement et à la fermeture des services de transferts. Les résultats d’une enquête menée en France au cours de l’été 2020 auprès des diasporas africaines laissaient déjà présager la solidité de ces flux.
Si cette résilience témoigne de la force du soutien des migrants envers leurs proches, elle s’explique également, selon la Banque mondiale, par les plans de relance contracycliques adoptés dans la plupart des pays avancés. C’est aussi le signe d’un report massif des transferts sur les services numériques et formels en période de confinement.
Des transferts de plus en plus dématérialisés
La crise a ainsi été l’occasion d’une accélération significative du déploiement, déjà bien entamé, des services d’envoi d’argent dématérialisés. Depuis le début de l’année 2020, on observe une hausse de l’offre et de l’envergure des services numériques de transferts d’argent : lancement de l’application Ria mobile en Europe en mai 2020, déploiement des services numériques de MoneyGram aux Philippines et dans 28 pays africains, etc. Selon le site Apptopia, les téléchargements de transferts sur mobile auraient été 40 % plus élevés en mai 2020 qu’en mai 2019. De même, selon l’enquête menée en France, plus d’un tiers des membres des diasporas envoyant de l’argent auraient davantage utilisé les outils numériques en 2020.
Cette dématérialisation des transferts constitue une véritable opportunité pour se rapprocher des objectifs de baisse des coûts fixés par le G20. Malgré les contraintes opérationnelles causées par la pandémie, le coût moyen d’envoi est passé de 6,8 % fin 2019 à 6,5 % au dernier trimestre 2020. Le coût d’envoi via les services numériques s’établit quant à lui à 5,1 %. L’enjeu est particulièrement grand pour l’Afrique subsaharienne qui demeure à la fois la destination la plus coûteuse et où on recense le plus grand nombre de comptes mobiles actifs. La baisse du coût des transferts via la dématérialisation des services pourrait favoriser le recours à des canaux formels et l’inclusion financière dans les pays pauvres, avec des effets significatifs sur le développement.

Note : Ne tient pas compte des différences dans le délai d’acheminement et la couverture du service notamment
De fortes disparités et des baisses importantes des transferts en Afrique subsaharienne
La résilience globale des transferts des migrants à la crise n’a pas été uniforme, particulièrement dans les pays à faible revenu, pour beaucoup localisés en Afrique. Les flux de transferts bénéficiant aux pays de l’Afrique subsaharienne (inflows) ont fortement baissé en 2020 : ils ont chuté de plus de 12 % en un an, essentiellement du fait du Nigéria, premier pays receveur de transferts de la région, où la baisse est de 28 %) et de l’Afrique du Sud (-9 %). Ce recul a touché de nombreux pays africains à faible revenu fortement dépendants de cette source de revenu, parfois de manière très significative, comme en Guinée-Bissau (- 19 %) ou en Ouganda (- 26 %).

Source : Banque mondiale, mai 2021.
Pays à la fois bénéficiaire de transferts et premier pays d’accueil des migrants africains, l‘Afrique du Sud constitue un exemple frappant des liens entre transferts de migrants et lutte contre la pauvreté. Recensant le plus grand nombre de cas de Covid-19 sur le continent, l’Afrique du Sud a fait face à une récession économique depuis fin 2019 (de l’ordre de 8 % en 2020), avec un taux de chômage de près de 33 % début 2021.
Surreprésentés dans le secteur informel (80%) et minier, les 4,2 millions de migrants vivant en Afrique du Sud ont été très impactés par les mesures de confinement, jugées parmi les plus drastiques au monde, sans souvent pouvoir bénéficier des aides fournies par l’État. Ces pertes de revenu combinées aux difficultés d’accès aux services d’envoi d’argent, aux comportements d’épargne de précaution en temps de crise et au retour des migrants auraient provoqué un effondrement des transferts depuis l’Afrique du Sud de 41 % entre décembre 2019 et avril 2020. Les flux se seraient même presque taris vers certaines destinations avec des effets potentiellement très dommageables pour les nombreux ménages dépendant de cette ressource .
Transferts financiers : un rôle qui va au-delà de la pauvreté monétaire
Les transferts de fonds représentent une bouée de sauvetage économique pour les ménages qui les reçoivent. Le rôle crucial que jouent ces transferts dans la réduction de la pauvreté est incontestable, mais leurs effets sur le bien-être des ménages vont au-delà de la pauvreté monétaire. Si les transferts servent principalement à financer la consommation, les ménages les utilisent également pour faire des investissements productifs, payer la scolarisation des enfants et se lancer dans l’entrepreneuriat.
Ainsi, les transferts de fonds ont un impact important sur la participation au marché du travail et donc mécaniquement sur le chômage. Cet impact dépasse même la sphère économique avec des effets positifs observés sur le statut des femmes et les normes électorales.
La résilience des transferts apparaiît essentielle dans les pays receveurs dont les équilibres financiers extérieurs se sont grandement détériorés en période de crise.En Afrique, les investissements directs de l’étranger auraient chuté de 12% en 2020, tandis que l’accès aux marchés financiers des pays frontières a été fortement contraint. La hausse de 7 % en 2020 des versements nets de l’aide publique au développement n’a pas bénéficié aux pays à faible revenu, ni à l’Afrique subsaharienne pour qui l’aide publique au développement reçue a baissé respectivement de 3,5 % et 1 %.
La nécessité de politiques d’éducation financière et numérique
Tandis que la pandémie a grandement accentué les besoins de financement des pays en développement, le risque d’un essoufflement de l’aide à moyen terme n’est pas exclu eu égard aux difficultés économiques des pays bailleurs. Ces évolutions sont d’autant plus inquiétantes que les marges de manœuvre budgétaires des pays d’Afrique subsaharienne sont étroites : le déficit moyen est de près de 7 % en 2020 contre 4 % en 2019 et de nombreux pays sont en risque élevé de surendettement.

Risque de surendettement faible, 2 : modéré, 3 : élevé, 4 : en crise de surendettement. Seuls les PFR sont évalués.
Source : Perspectives économiques régionales, Avril 2021, FMI
Ces financements privés constituent une composante essentielle d’un filet de sécurité financière assurant la résilience des pays en développement face aux crises à venir. Réduire le coût des transferts à 3 % permettrait de soutenir, dans les pays d’accueil comme dans les pays d’origine, les populations particulièrement vulnérables.
Les politiques d’éducation financière et numérique ou en faveur de l’épargne peuvent également contribuer à mieux mobiliser ces financements à des fins de création de valeur et à accroître leur résilience. Peu médiatisées, les politiques de promotion des transferts de migrants doivent pourtant s’inscrire pleinement dans les efforts récents de la communauté internationale pour mobiliser les financements publics comme privés en vue de l’atteinte des objectifs de développement durable.