
L’Afrique a subi avec la crise du Covid-19 un choc économique sans précédent. Malgré les efforts des autorités pour soutenir leurs économies, les mesures déployées ont été sans commune mesure avec les plans de relance mis en œuvre ailleurs dans le monde, en particulier dans les pays avancés. Dès lors, la reprise qui se dessine risque d’être inégale, creusant les écarts au sein même de l’Afrique et entre l’Afrique et le reste du monde. Comment éviter cela ? Au-delà des appuis déjà déployés, il est urgent de trouver des solutions pérennes au financement des économies africaines.
Économie africaine : reprise en vue
Une bonne nouvelle d’abord, l’année 2020 s’est mieux terminée qu’il n’était craint ! La région a affiché une récession de 1,9 % en 2020, contre 3 % redoutés il y a six mois encore. Par ailleurs, les prévisions très récentes du FMI font état d’une reprise substantielle en 2021, avec une croissance attendue à + 3,4 % pour l’Afrique subsaharienne (chiffre également révisé à la hausse par rapport aux estimations d’octobre).
Plusieurs facteurs contribueront à soutenir cette reprise africaine : la levée progressive des mesures de distanciation sociale, la reprise des échanges mondiaux et la remontée des cours des matières premières, ou encore l’amélioration des conditions de financement.
En Afrique du Nord, la situation est assez contrastée, puisque les pays exportateurs d’hydrocarbures (Algérie, Libye) ont connu une forte récession l’année dernière, mais peuvent espérer un rebond substantiel. Le Maroc et la Tunisie bénéficieront aussi d’un rebond (croissance autour de 4 %) malgré l’effet toujours récessif du secteur touristique en 2021.
De manière agrégée, après un mouvement de panique et de fuite de capitaux début 2020 (atteignant 5 milliards de dollars au premier semestre), les entrées de capitaux ont repris (à hauteur de 80 %) et les écarts de rendements sur les obligations africaines se sont resserrés.
Un choc économique dans la durée
Néanmoins, les économies africaines ont bien accusé en 2020 leur pire récession jamais enregistrée. Du fait de leur ampleur inédite, les conséquences du choc mettront du temps à se dissiper. Les pertes de production cumulées imputables au choc pourraient en effet atteindre près de 12 points de PIB en 2020-2021, avec des conséquences non négligeables sur l’emploi (en baisse de 8,5 % en 2020 déjà).
En outre, le revenu par habitant ne devrait retrouver ses niveaux d’avant crise qu’entre 2022 et 2025 selon les pays, ce qui entraînerait une hausse de la pauvreté de 32 millions de personnes en Afrique subsaharienne seule.
Les conséquences sont également importantes en termes d’éducation, l’apprentissage à distance ayant été inaccessible pour la plupart des élèves africains. Ces derniers ont perdu en moyenne plus de 60 jours d’étude, trois fois plus que dans les pays avancés. Selon la Banque mondiale, la fermeture des écoles en Afrique coûtera près de 500 milliards de dollars aux États, sans compter les effets douloureux à long terme pour toutes les générations dont les apprentissages et la socialisation auront été réduits durablement en raison de la crise.
Les risques d’une reprise à deux vitesses en Afrique
Le risque est surtout celui d’une reprise à deux vitesses, entre les économies africaines déjà, mais également avec le reste du monde.
Sur le continent, les économies les plus durement touchées par la crise mettront ainsi plus de temps à se relever. C’est particulièrement vrai pour les économies dépendantes de leurs ressources extractives – notamment les deux premières économies du continent (Nigeria, Afrique du Sud) – durement affectées en 2020 par la baisse de la demande énergétique. La remontée des cours des matières premières en début d’année leur a offert un bol d’air bienvenu : le baril de pétrole est repassé à 60 dollars au premier trimestre, contre 40 en 2020, et les métaux ont repris 40 % par rapport au point bas de 2020.
Mais à moyen terme, ce sont bien les pays qui ne dépendent pas des ressources extractives et de leurs cours qui s’en sortiront le mieux. Par ailleurs, les pays tributaires du tourisme, fortement affectés par la fermeture des frontières en 2020 et l’arrêt des vols internationaux, restent pénalisés à ce jour par les restrictions sanitaires encore en vigueur un peu partout dans le monde.
L’Afrique, la région du monde la plus affectée en 2021
La croissance mondiale pourrait en effet atteindre 6 % en 2021, presque le double du niveau africain. Ainsi, l’écart entre le PIB par habitant de la région et celui des pays avancés se creuserait, freinant la trajectoire de convergence de la région (cf. graphique 1).
Source : FMI (REO, avril 2021)
Une des raisons à cela tient à la taille des plans de relance déployés ici et là : ils n’ont représenté en moyenne que 2,6 % du PIB africain en 2020 contre près de trois fois plus dans les pays avancés (cf. graphique 2).
Source : FMI (REO, avril 2021)
La crise est venue contraindre d’autant plus leurs marges de manœuvre. D’une part, l’endettement des États africains s’est accru, atteignant près de 58 % du PIB en 2020 (+ 6 points en un an), et le risque de surendettement s’est accentué suite au choc (par exemple, en Éthiopie, au Kenya, en Ouganda, au Tchad ou en Zambie).Les efforts de priorisation des autorités et le soutien de la communauté internationale – à travers les financements additionnels des bailleurs de fonds et des initiatives comme celle du G20 pour la suspension de la dette – ont permis de préserver les dépenses essentielles et de soutenir les PME ainsi que les ménages les plus vulnérables. Mais les États ont toutefois été contraints dans leur capacité d’intervention par un espace budgétaire très réduit.
D’autre part, les banques centrales, qui avaient apporté leur soutien monétaire aux économies en 2020, se montrent désormais plus prudentes face au risque d’une montée de l’inflation (11 % en 2020).
Un besoin de financements additionnels
Des financements additionnels seront nécessaires et importants pour rattraper le retard né de la crise et garantir une reprise solide.
D’après les estimations du FMI, les besoins de financements additionnels des pays africains pour rattraper le retard né de la crise et garantir une reprise solide se chiffrent à 425 milliards de dollars sur la période 2021-2025.
Une partie de cette somme a vocation à couvrir le coût de la vaccination, indispensable à la protection des populations et à une reprise durable, mais très élevé. En effet, pour une partie des pays africains, le coût d’une vaccination de 60 % de la population est équivalent à une hausse des dépenses de santé de 50 %. , un niveau trop élevé qui nécessitera des mesures pour réduire le coût des vaccins et de leur administration.
De nouvelles pistes de financement envisagées
Ces pistes pourraient apporter un soutien substantiel aux économies africaines. Parmi elles, les émissions d’eurobonds ont déjà repris depuis fin 2020, avec des opérations d’un volume important réalisées notamment en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Bénin. Si elles ont permis de racheter des obligations existantes et de lisser le risque de refinancement, ces émissions pourraient également couvrir une partie de la riposte à la crise et financer des investissements prioritaires.
Le coût souvent élevé de financement de ces opérations (avec des taux d’intérêt compris entre 5 % et 10 %) impose toutefois de ne financer ainsi que des investissements à haut rendement collectif ou de remplacer une dette à des taux encore plus élevés, pour éviter un effet « boule de neige » de la dette publique.
Autre source de financement possible, une nouvelle allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) de 650 milliards de dollars est envisagée. Elle apporterait 23 milliards de dollars à l’Afrique subsaharienne et une dizaine de milliards de dollars à l’Afrique du Nord. Des montants considérables, notamment au regard de la programmation actuelle du FMI (4 à 5 milliards de dollars en tout pour 2021).
Les enjeux du sommet de Paris
Un des enjeux du Sommet international sur le financement des économies africaines, prévu ce 18 mai à Paris, sera de débloquer cette émission. Les actions des États africains doivent aussi être davantage accompagnées d’autres canaux de financements : banques publiques et privées, caisses de dépôts et consignations, partenariats public-privé bien maîtrisés.
Il s’agit de ne pas accroître le risque de surendettement des États. Les 95 banques publiques africaines de développement sont, par exemple, capables de lever des fonds ou de mobiliser l’épargne nationale sans alourdir la dette de leur gouvernement.
Si la mobilisation de financements importants en 2020 a déjà contribué à amortir l’ampleur du choc économique en Afrique et ses conséquences humaines, celle-ci restera cruciale dans la période à venir pour permettre à l’Afrique de remédier à la crise sociale tout en engageant la transition environnementale nécessaire.
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