
La question de l’énergie interpelle les chercheurs et les acteurs du développement économique à plusieurs titres. Premièrement, le rattrapage des pays émergents et des pays pauvres sur les pays riches exige une forte croissance de la consommation d’énergie. Deuxièmement, s’il est principalement d’origine fossile, ce surcroît de consommation ne peut qu’aggraver les dérèglements climatiques, dont les principales victimes seront majoritairement dans les pays en développement. Troisièmement, une proportion importante de ces pays est en même temps dotée de capacités importantes d’exploitation d’énergies renouvelables, en particulier le solaire. Finalement, un nombre substantiel d’économies moins avancées tirent une plus ou moins grande part de leurs revenus de leurs réserves de ressources énergétiques fossiles. La transition écologique peut donc potentiellement représenter un cercle vicieux pour de nombreux pays. Pour répondre à la fois à l’enjeu climatique et à celui du développement économique, créons les incitations économiques nécessaires pour développer les technologies qui permettront une véritable transition énergétique.
La demande d’énergie liée au développement est considérable.
Aujourd’hui, le monde en développement est responsable d’un peu moins de la moitié du Produit Intérieur Brut Mondial (en parité de pouvoir d’achat) et absorbe la moitié de l’énergie consommée. En moyenne sur les pays du Sud, l’efficacité énergétique est légèrement plus faible que dans les pays développés du Nord. La différence est cependant faible. En revanche, comme le produit par tête est cinq fois moindre et la population 6 fois plus nombreuse au Sud qu’au Nord, toute perspective de rattrapage, même partiel, en termes de niveau de vie entraîne nécessairement une énorme demande additionnelle d’énergie. De fait, durant la première décennie de ce millénaire, la croissance de la demande d’énergie des pays moins avancés a représenté 90% de la croissance énergétique mondiale.
Il est important de noter que cette évolution est essentiellement due au différentiel de croissance économique. Dans les deux zones, l’efficacité énergétique a augmenté à un rythme significatif et similaire ralentissant d’autant la croissance de la demande d’énergie par rapport à celle du PIB. Au total, cette demande a augmenté de 5% sur la décennie dans les pays avancés, mais du fait d’une croissance économique beaucoup plus rapide, de 60% dans le monde en développement. A même évolution technologique, il est probable que ce dernier chiffre sera plus faible dans le futur du fait d’un ralentissement probable de la croissance chez les géants du Sud (Chine, Inde, Indonésie) par rapport à la dernière décennie. Il n’en reste pas moins vrai que l’augmentation marginale de la consommation d’énergie restera pour longtemps le fait des pays en développement.
A structure relative constante des sources d’énergie, une telle croissance est clairement incompatible avec les objectifs de réduction de l’émission des gaz à effets de serre. Selon le dernier rapport du GIEC, le maintien du réchauffement en deçà de 2 degrés Celsius d’ici 2050 exigerait une diminution des émissions de l’ordre de 40% à 70%. Dans la mesure où les pays en développement seraient eux-mêmes plus directement affectés par le réchauffement, et comme la réduction visée des émissions ne peut pas porter exclusivement sur les économies avancées – qui devraient alors pratiquement éliminer toute émission dans les trois prochaines décennies – le monde en développement est pris dans un cercle vicieux. Sa volonté de croissance économique se voit contrecarrée par les effets qu’elle peut avoir sur son environnement à travers la consommation d’énergie et l’émission de gaz à effets de serre.
Bien sûr, cet arbitrage ne s’impose pas nécessairement dans des pays de petite ou moyenne taille car leurs décisions sont sans grand impact sur les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mais c’est bien là que réside une partie du problème et donc la nécessité d’un cadre international contraignant pour éviter ces comportements de « passager clandestin » (prêt à faire le voyage mais sans participer au coût).
Les technologies, clés de la transition énergétique
Une inflexion radicale est donc nécessaire en ce qui concerne d’une part l’efficacité énergétique et d’autre part le développement des énergies renouvelables. Un progrès est constaté sur le premier front mais il est encore relativement modeste puisque la baisse de la consommation énergétique par euro de PIB n’est que de 1,5% par an au niveau mondial. En revanche, l’évolution est peu perceptible sur le second front. La part de la production électrique à partir de sources fossiles a peu changé au cours des deux dernières décennies, ni dans le monde dans son ensemble ni, en moyenne, dans les pays développés. Les énergies renouvelables, hors hydraulique, ont progressé régulièrement, mais, à 5%, de la consommation totale d’énergie, elles sont aujourd’hui encore très modestes. De fait leur progression compense une légère baisse du nucléaire et de l’hydraulique.
C’est donc très précisément sur le développement des énergies renouvelables que l’effort doit porter et il est capital qu’il ait lieu au Nord comme au Sud. Le progrès technique nécessaire pour que la substitution de l’énergie fossile prenne de l’ampleur est encore lent. S’agissant du solaire, il est intéressant de noter que, passé un certain cap, les nouvelles technologies devraient donner un véritable avantage comparatif à un grand nombre de pays en développement géographiquement bien localisés. Cela devrait faciliter d’autant la satisfaction des besoins énergétiques liés à leur croissance sans dommage pour l’environnement, mais aussi, possiblement, de redéfinir leur spécialisation dans l’économie mondiale.
En même temps, tout progrès significatif dans le renouvelable viendra diminuer la demande d’énergies fossiles et risquera donc d’handicaper un certain nombre de pays en développement qui en dépendent étroitement. Apparaît ainsi un second cercle vicieux pour les pays en développement détenteurs de ressources fossiles. On perçoit déjà les effets de la baisse des prix pétroliers et l’émoi qu’il commence de susciter, notamment dans des pays où l’exploitation pétrolière est coûteuse. Le moment venu, il faudra trouver comment la transition énergétique et l’évolution de l’économie mondiale peuvent permettre de maintenir le revenu des exportateurs de pétrole, gaz et charbon.
L’urgent est donc effectivement de développer les technologies qui permettront une véritable transition énergétique. C’est le défi majeur de notre temps. Certes, il faut se féliciter que la communauté mondiale commence d’en prendre la mesure. A cet égard, la prolongation probable des Objectifs de Développement pour le Millénaire par les Objectifs de Développement Durable à partir de 2016 a quelque chose de symbolique. Il n’est pas sûr cependant que toutes les incitations économiques nécessaires pour accélérer les avancées technologiques décisives dont nous avons besoin aient encore été réunies par la communauté internationale.