
Et si la « Grande muraille verte » (GMV) consistait en un chapelet de villes vertes, ces cités qui ne polluent pas et qui contribuent au bien-être physique, mental, social et économique de ses habitants ? Chacune d’elles serait alors comme un grain de ce chapelet. Parmi les différents leviers possibles au service de ce projet ambitieux, l’agriculture urbaine nous apparaît primordiale.
Cette initiative phare de l’Union africaine pour lutter contre les effets du changement climatique et de la désertification en Afrique a pour but de transformer la vie de millions de personnes en créant une mosaïque d’écosystèmes verts et productifs en Afrique du Nord, au Sahel et dans la Corne de l’Afrique. Initialement conçue comme un long couloir de 15 km de large traversant tout le continent africain sur 7 800 km en passant par 11 pays, elle est censée relier Dakar (Sénégal) à Djibouti. Sa surface représenterait alors environ 117 000 km2, ou 11,7 millions d’hectares.

L’agriculture urbaine, de multiples bienfaits au service des villes vertes
L’agriculture urbaine pourrait être définie comme toute activité agricole menée en milieu urbain. Elle est aussi appelée « agriculture interstitielle » car elle vise à valoriser les interstices urbains. Il peut paraître paradoxal de parler d’agriculture en ville. Mais pour mieux appréhender cette dualité, il faut comprendre que l’agriculture ne se limite pas aux champs ou aux vastes étendues de cultures.
Selon la FAO, « l’agriculture urbaine et périurbaine (AUP) est pratiquée dans le monde entier à l’intérieur des limites administratives des villes ou aux alentours de celles-ci. Elle comprend les produits provenant de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et de la sylviculture, ainsi que leurs fonctions écologiques. Souvent, de multiples systèmes d’exploitation agricole et horticole existent déjà dans les villes et à proximité ».
L’agriculture urbaine contribue à façonner des villes vertes car elle permet de séquestrer le carbone. Elle offre également une opportunité de valorisation des déchets issus de l’élevage à travers leur utilisation comme engrais et fertilisants naturels. Enfin, elle permet de valoriser les déchets biodégradables issus des ménages en engrais et fertilisants.
Désertification et vestiges de la première ceinture verte de Ouagadougou
La ceinture verte de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, est un cas pratique de mise à profit de l’agriculture urbaine dans une approche de reverdissement. Mise en place à partir de 1976, cette ceinture verte couvre une superficie de 1 032 ha. Elle est d’une longueur de 21 km pour une largeur moyenne de 500 m.
À sa création, elle avait pour objectif de protéger la ville de l’influence du vent et de la poussière, de maîtriser l’érosion éolienne et hydraulique, mais aussi de produire du bois de chauffe, de créer des emplois et des revenus à travers l’agroforesterie. Enfin, il s’agissait aussi aux yeux de ses promoteurs d’offrir des espaces de repos et de loisirs aux habitants.
Aujourd’hui, hélas, ne subsistent que des vestiges de végétation.

Vers une renaissance de la ceinture verte
À travers une approche d’agroforesterie urbaine, la mairie de Ouagadougou a récemment entrepris un programme de reforestation de la ceinture verte. Celui-ci consiste à réinstaller officiellement les maraîchers qui occupaient illégalement cet espace. Ces jardiniers ont la charge d’entretenir et d’assurer la survie des arbres mis en terre pour la reforestation de la ceinture verte. Ainsi jardinage, maraîchage et foresterie font bon ménage, chacun assurant la pérennité de l’autre.
L’agriculture urbaine génère ainsi des revenus à travers les emplois verts : les activités telles que le maraîchage, les pépinières ou le jardinage mettent sur le marché des légumes dont la vente génère des revenus. De même, certains types d’agriculture urbaine tels que l’horticulture ornementale, dans le cadre d’espaces verts ou de jardins publics, offrent à la fois un intérêt esthétique pour le paysage urbain et un intérêt économique. Notons, au passage, que ces maraîchers utilisent des engrais naturels issus des déchets biodégradables pour mener à bien leur activité.
Les multiples bienfaits de l’agriculture urbaine
Ajoutons également que l’agriculture urbaine contribue à la gestion des eaux de pluie, des eaux-vannes et des eaux usées à travers la perméabilisation du sol. C’est un enjeu essentiel. En milieu urbain, les bitumes, les revêtements étanches et les emprises de bâtiments favorisent en effet une forte imperméabilisation des sols. Il s’ensuit une forte déperdition des eaux de pluie. Les eaux non infiltrées ruissellent et créent de l’érosion, voire des inondations dévastatrices quand elles ne sont pas convenablement canalisées et évacuées. À travers un système d’irrigation approprié, l’agriculture urbaine permet de les canaliser.
L’agriculture urbaine favorise aussi la mobilité urbaine à travers les modes doux de transport. La marche est plus agréable à l’ombre des arbres. Les plantations d’alignement permettent de reverdir les bas-côtés des chemins, des voies et des routes. Cette approche permet ainsi d’avoir un linéaire de verdure presque égal au linéaire de voirie.
L’agriculture urbaine, une pratique très souple
L’agriculture urbaine est facile à mettre en œuvre à diverses échelles. À l’échelle de la ville, elle se concrétise dans les espaces verts, les jardins publics et les espaces boisés. À l’échelle de l’individu, elle émerge dans la parcelle d’habitation, en devanture, dans les jardins, dans les balcons, et même dans les pièces habitées.
Les différentes techniques de culture rendent cette pratique encore plus adaptable : l’agriculture hors sol, les jardins suspendus, les toitures-terrasses, l’aquaculture, etc., sont autant d’innovations permettant de s’adapter à tous les types de support. Les murs, les sols, le plafond et le mobilier apparaissent alors comme de possibles cadres d’expression qui n’attendent que le génie humain.
Les dangers et menaces de l’agriculture urbaine
Malgré tous ces points positifs, il faut souligner que l’agriculture urbaine présente certains dangers. Ceux-ci résultent des pratiques adoptées et du contexte urbain de cette activité. L’une des menaces réside notamment dans l’occupation du sol.
Le contexte urbain, déjà dense, nécessite en effet un bon aménagement et une bonne gestion des espaces. Si elle n’est pas contrôlée, l’agriculture urbaine entrera en compétition avec les infrastructures urbaines dans l’usage des sols. Cette occupation anarchique de l’espace urbain se remarque déjà au niveau des lits des barrages. À Ouagadougou, ces derniers sont envahis et ensablés par les jardiniers et les pépiniéristes.
Dès lors, les mauvaises pratiques agricoles peuvent être à l’origine de la dégradation des terres et présenter un risque réel de pollution. Les intrants chimiques utilisés par les producteurs polluent les sols et les rendent infertiles à long terme. Ils polluent également les eaux de surface et les eaux souterraines. L’usage des engrais naturels n’est pas encore systématique au Burkina Faso et il est encore temps de vulgariser les bonnes pratiques.
L’agriculture urbaine au défi de l’acceptation sociale
La place de l’agriculture urbaine a été remise en cause plusieurs fois, au cours des dernières années, dans les documents de planification de la ville de Ouagadougou. Tantôt refusée, tantôt tolérée, son importance a finalement été confirmée dans le schéma directeur d’aménagement du Grand Ouaga Horizon 2025, à travers le maraîchage et l’horticulture pour l’écotourisme.
Toutefois, cette acception « technique » de l’agriculture urbaine ne suffit pas à la rendre opérationnelle. En effet, elle n’est pas très bien connue des habitants. Or, l’acceptation « sociale » de l’agriculture urbaine est entravée par les dangers et menaces évoqués précédemment, mais aussi par l’ignorance de ses champs d’application. Dans ce domaine, les réseaux sociaux ont un rôle important à jouer : ils sont d’ailleurs exploités par ces acteurs pour se faire connaître du plus grand nombre avec des offres de produits et même de formations. Le secteur public n’est pas en reste : certaines structures de l’État initient des formations et des foires allant dans le sens de l’autonomisation des citoyens.
Demain, une juxtaposition de territoires verts ?
L’agriculture urbaine apparaît comme un levier puissant pour des villes vertes qui peuvent constituer la première phase de la Grande muraille verte africaine. Mais n’oublions pas les campagnes et, entre les villes et les villages, les périphéries. Elles aussi présentent un potentiel avec des cultures périurbaines.
Villes vertes, cultures périurbaines, écovillages : cette juxtaposition de territoires verts pourrait constituer une « mosaïque d’écosystèmes verts et productifs », contribuant à édifier la Grande muraille verte de demain.
Comment accompagner de jeunes Sahéliennes et Sahéliens d’aujourd’hui à devenir pleinement actrices et acteurs de leur avenir, d’un avenir différent, d’un avenir désirable ? Telle est la question à l’origine du programme de prospective positive « Sahélien·ne·s 2040 » imaginé et lancé par le Campus AFD, après avoir été inspiré par Afrotopia, un essai du philosophe et économiste Felwine Sarr, dans lequel il appelle de ses vœux cette « utopie active qui se donne pour tâche de débusquer dans le réel africain les vastes espaces du possible et les féconder ».
Quatre participants à ce programme prennent la plume sur iD4D pour tracer les contours de cet avenir souhaité, dans une série dédiée. Originaires du Burkina Faso, du Mali et du Sénégal, Adam Dicko, David Zouré, Sandrine Naguertiga et Alpha Dougoukolo Ba Konaré développent à leur façon les grandes thématiques ressorties de ce voyage de prospective, évoquant celles et ceux qui ouvrent des brèches, s’emparent des leviers de changement et dessinent des possibles.
Sarah Marniesse (Responsable du Campus AFD) et Jean-Marc Pradelle ( président de l’ONG Gdrd)