
Le changement climatique à l’œuvre affecte l’ensemble des économies, et particulièrement celles des pays en développement. La hausse des températures et les modifications des régimes de précipitations, tout comme l’augmentation de l’intensité ou de la fréquence d’évènements climatiques extrêmes, détériorent les conditions de vie et les perspectives des populations. Ces dernières peuvent ainsi être encouragées à émigrer, suscitant de nombreuses craintes en Europe. Or, si les liens entre climat et migrations peuvent paraitre particulièrement forts en Afrique, la hausse des flux migratoires devrait concerner avant tout les pays de départ eux-mêmes ainsi que les pays les plus proches.
Une dynamique migratoire renforcée en Afrique
Qu’elles résultent d’un calcul coût-avantage ou plutôt d’une stratégie de diversification des risques, les migrations volontaires sont susceptibles d’être influencées par le changement climatique. L’Afrique fait face à une intensification des tensions ethniques et religieuses qui alimentent les flux migratoires, dans un contexte de forte croissance démographique faisant pression sur le foncier. Le changement climatique accroit ces tensions, et donc les conflits, en augmentant davantage la pression sur les terres fertiles. Ainsi, la coopération traditionnelle entre agriculteurs et éleveurs transhumants en Afrique est affectée par les épisodes de sécheresses, de même que les hausses des prix alimentaires sur les marchés mondiaux qui en découlent accroissent les conflits sur le continent. Ce lien entre climat et conflit est renforcé dans de nombreux pays africains par leurs faiblesses juridiques et institutionnelles, en particulier celles concernant les droits de propriété et les mécanismes de résolution des différends, visant à prévenir les conflits.
La pauvreté et les niveaux élevés d’inégalités en Afrique constituent un autre facteur poussant à la migration. En dépit de progrès importants, y compris au Sahel, le contexte socioéconomique du continent rend plus difficile qu’ailleurs l’adoption et la mise en œuvre de politiques d’adaptation au changement climatique. Le revenu par habitant de l’Afrique subsaharienne demeure le plus faible au monde, le taux de pauvreté est très élevé et les filets sociaux formels ne couvrent que 10 % de la population.

Sources : Organisation international du travail et Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, élaboration par les auteurs.

Sources : Organisation international du travail et Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, élaboration par les auteurs.
Les populations du continent africain apparaissent également particulièrement vulnérables au changement climatique du fait de la structure de son secteur productif. L’agriculture y occupe en effet une place importante, tant en termes de valeur ajoutée que d’emplois, et celle-ci demeure fortement dépendante du climat. En outre, l’irrigation, facteur de résilience du secteur agricole face aux chocs climatiques, est très peu développée en dehors de l’Afrique du Nord. Les effets substantiels du changement climatique sur la productivité agricole se traduiront ainsi par des pertes de revenus importantes, d’autant plus que l’Afrique est le continent où les températures moyennes sont les plus élevées. Le changement climatique peut également encourager directement l’émigration en modifiant les perspectives des individus.
Le changement climatique affecte donc les flux migratoires à travers différents canaux, dont l’impact pourrait être amplifié par la structure des économies africaines. Dans un rapport récent, la Maison Blanche souligne l’importance de comprendre les facteurs qui accentuent ou au contraire, atténuent, l’effet du réchauffement climatique sur les flux migratoires.

La hausse des migrations sera surtout interne et intra-régionale
Un faible niveau de revenu constitue à la fois une incitation et une barrière à l’émigration, qui est renforcée par l’effet néfaste du réchauffement climatique sur le niveau de vie. Les coûts associés à une mobilité peuvent être très élevés, en particulier si l’on émigre, légalement ou non, vers un autre pays, voire un autre continent. Cette contrainte financière explique la relation en U-inversé mise en évidence par la littérature entre le niveau de revenu des pays d’origine et la propension à émigrer. Peu plébiscitée à des niveaux de revenu très faibles, l’émigration augmente avec la richesse des populations, puis décroît à mesure que l’écart entre le niveau de vie des potentiels pays d’accueil et le pays d’origine s’amenuise. En dégradant davantage la situation économique des pays à faible revenu (majoritairement situés en Afrique), le réchauffement climatique et ses manifestations peuvent freiner les flux migratoires, en particulier dans ses modalités les plus coûteuses. Ainsi, les travaux empiriques ont identifié un effet plus probant du changement climatique ou des aléas naturels sur les migrations internes que sur les départs vers l’étranger (cas du Burkina Faso, par exemple). Sur les 40,5 millions nouveaux déplacés internes en 2020, les trois quarts seraient liés à des évènements climatiques (tempêtes, températures extrêmes, inondations, etc.). La Banque mondiale estime que d’ici 2050, le changement climatique pourrait causer 86 millions de déplacés internes en Afrique. Par ailleurs, s’il encouragerait en moyenne les migrations internes et internationales au départ des pays en développement, en particulier vers les pays proches, le changement climatique aurait tendance à freiner les flux migratoires au sein et en provenance des pays les plus pauvres, en lien avec une contrainte de liquidité plus forte.

Des migrations de plus en plus contraintes
Le changement climatique et la hausse de la fréquence et de l’intensité des désastres naturels risquent d’augmenter les migrations « forcées » internes ou internationales. En effet, face au changement climatique, l’émigration apparait parfois moins comme la résultante d’un choix mûrement réfléchi que comme une impulsion de survie ou une solution de derniers recours. Si le statut de « réfugié climatique » n’est toujours pas reconnu aujourd’hui par la Convention de Genève de 1951, les Nations Unies, le Comité des droits de l’homme a admis début 2020 que le principe de non-refoulement devrait s’appliquer aux individus fuyant leur pays en raison du réchauffement climatique si leurs droits fondamentaux sont menacés.
Si déjà aujourd’hui les migrants internationaux africains migrent en majorité vers d’autres pays africains, en particulier vers les pays voisins, la détérioration de la situation financière des populations par le changement climatique est susceptible d’accentuer cette tendance. En contraignant le champ des possibles, elle favorise les destinations les plus facilement accessibles et non celles où les opportunités économiques sont les plus grandes. La réallocation du capital humain qui en résulte a donc peu de chances d’être optimale et pourrait même créer des tensions significatives dans des zones où les ressources et les emplois sont déjà limités.