
Dans le cadre des négociations sur la réduction des émissions de CO2, la communauté internationale s’est précocement intéressée au secteur forestier du fait de son poids dans les émissions (déforestation) et de sa capacité de stockage. Ces discussions ont débouchés sur un instrument de régulation de la déforestation et de la dégradation des forêts : REDD+.
Acronyme pour Reducing emissions from deforestation and forest degradation, le mécanisme REDD+ se rapporte au volet forestier de la lutte contre le changement climatique. Il prend en compte la double dimension de cet écosystème vivant, qui peut être à la fois « très fort émetteur de CO2 » et constituer également « un potentiel extrêmement important en termes de captation » du carbone. La complexité de REDD+ ne va pas sans poser de nombreuses questions : le dispositif tend à favoriser dans certains pays la rente forestière, alors qu’il gagnerait à être employé comme un investissement en faveur du développement durable.
Les objectifs du mécanisme REDD+ sont-ils conciliables avec les aspirations de développement économique des Etats ? Cette question à été discutée au Grand Palais, dans le cadre de la COP21. Les échanges ont été animés par Cécile BARBIÈRE, journaliste à Euractiv. Sont intervenus Christophe DU CASTEL, chef de projets forêt à l’AFD ; Alain KARSENTY, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et Valérie MERCKX, chargée de programmes REDD + à European Forest Institute (EFI).
REDD+: une stratégie élaborée progressivement
« La prise en compte de la question forestière dans les discussions climatiques ne date pas d’hier. » Mais la complexité de cette thématique a nécessité plusieurs réajustements successifs dans les politiques de protection mises en place. Le principe de « développement propre » élaboré en 1997 dans le cadre du Protocole de Kyoto, qui permettait de « mettre en place des mécanismes de séquestration de carbone à travers des plantations, des enrichissements, des restaurations forestières » a vite atteint ses limites, faute de projets réellement ambitieux. Mais il a tracé la voie pour d’autres initiatives : limitée d’abord à la lutte contre le phénomène de déforestation (mécanisme RED), la problématique s’est élargie avec « la prise en compte des impacts de la dégradation forestière », notamment dans les forêts du bassin du Congo (REDD), et enfin « la gestion durable des forêts », et « les modalités d’exploitation forestière » (REDD+).
Ces stratégies complémentaires obéissent toutes à une même « dynamique générale » : elle repose sur la prise en compte d’un « différentiel entre un scénario de référence “fatal” (celui de la déforestation si l’on ne fait rien) et celui des effets que pourraient avoir les politiques mises en œuvre » (C. Du Castel).
Une mise en place complexe
Conditionné à l’adoption de « politiques volontaristes au niveau national » (C. Du Castel), le déploiement concret du mécanisme REDD+ nécessite de « prendre conscience de l’immensité du chantier » en intervenant « sur tous les secteurs qui d’une façon ou d’une autre sont engagés dans le processus de déforestation ». Administrations, secteur privé, populations locales…, « la mobilisation des acteurs est primordiale » à toutes les étapes du processus : identification des causes de la déforestation, mise en œuvre d’une stratégie, prise en compte des risques sociaux et environnementaux que comportent les politiques de lutte contre la déforestation. Le travail se fait dans une dialectique entre « le cadre national et les projets pilotes sur le terrain » : cela favorise « l’émergence de modèles locaux » comme à Kinshasa ou encore au Cameroun.
Les mécanismes financiers sont quant à eux déployés en trois phases : préparation, investissement (par exemple dans des programmes de développement ou d’aménagement du territoire) et « paiement aux résultats », selon une idée qui consiste à « rétribuer le pays proportionnellement à la tonne de carbone qui n’a pas été envoyée dans l’atmosphère grâce à la politique [mise en œuvre] » (V. Merckx).
Un instrument qui favorise la rente forestière ?
C’est sur cette dimension de paiement aux résultats que peut porter la critique du mécanisme REDD+. Il repose sur la prise en compte d’un scénario d’évitement, c’est-à-dire qui « incite les acteurs concernés, seuls juges, à imaginer le pire pour prétendre ensuite avoir évité le pire ». Des pays comme la Bolivie sont ainsi tentés de gonfler les projections des déforestations qu’elle anticipe sur son sol, de manière à pouvoir monnayer in fine leur conservation (A. Karsenty). Il existe certes des garde-fous, dans la mesure où « les pays sont sommés de fournir des explications fondées sur des données, des méthodes » à un panel d’experts des Nations unies. Il y a également un aspect positif dans cette démarche d’élaboration des scénarios : elle invite les États à réfléchir concrètement sur l’avenir de leurs forêts (V. Merckx).
Néanmoins, le risque majeur du paiement aux résultats, tel qu’il est mis en œuvre actuellement, est de transformer les États concernés en « rentiers de la forêt » et de « freiner leur développement économique » (C. Barbière). Rien ne permet jusqu’ici de « juger la cohérence des politiques publiques » de pays réclamant à la fois de l’argent pour REDD+ et se lançant parallèlement dans des politiques aussi peu protectrices de l’environnement que l’agrobusiness (A. Karsenty).
Repenser REDD+ sous l’angle de l’investissement
Il faut pourtant nuancer ce constat pessimiste, dans la mesure où, progressivement, « on commence à repenser REDD+ de manière intelligente sous l’angle de l’investissement, […] clé de l’économie verte » (A. Karsenty). De « dispositif institutionnel et financier […] susceptible de favoriser la rente forestière », le mécanisme évolue vers le statut d’« instrument de développement » : « les pays s’approprient [REDD+] pour réfléchir à leurs problématiques de déforestation en y intégrant de nombreux sujets, agricoles, mais aussi énergétiques, d’infrastructures… » (C. Du Castel).
Promue par la Norvège, soutenue désormais par la France, l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI) illustre ce changement de paradigme : ce programme développe « l’investissement de manière systémique pour repérer les moteurs de la déforestation, donner les moyens aux paysans africains de transformer leur agriculture […], et impliquer les politiques dans le secteur de l’énergie, des transports, et du foncier » (A. Karsenty).
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