
Aujourd’hui, 55% de la population mondiale n’a accès à aucune forme de protection sociale alors que la communauté internationale l’a reconnue comme un droit humain fondamental (Article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme).
L’impact de la protection sociale pour stimuler la croissance économique a largement été démontré depuis les années 1960. La Banque mondiale a ainsi élevé la protection sociale au rang des instruments principaux des stratégies de lutte contre la pauvreté et d’amortisseur lors de crises économiques ou sanitaires.
De nombreuses études sont par ailleurs disponibles sur l’impact de l’investissement dans la protection sociale et son lien très étroit sur la croissance économique dans les pays développés et en développement. Précisons, toutefois, qu’il reste difficile de disposer d’une seule et même lecture en raison de l’hétérogénéité des modèles et de l’irrégularité du niveau d’investissement dans de nombreux pays.
Pour de nombreuses personnes, le concept de la protection sociale reste flou, aussi il est souvent nécessaire de rappeler ce qu’il recouvre. Il désigne l’ensemble des mécanismes de prévoyance collective qui permettent aux bénéficiaires de faire face aux conséquences financières des risques sociaux. Les instruments sont classés en trois catégories :
- L’assurance sociale
- L’assistance sociale (impôts, cash transfert, etc.)
- Les différents programmes du marché du travail.
Tout cela englobe les prestations de santé, les allocations familiales, les prestations de chômage, les prestations vieillesse, les prestations d’invalidité, les prestations d’accidents du travail, les prestations maternité et, enfin, les prestations des survivants.
La protection sociale, un engagement politique ?
Pour beaucoup de gouvernements en quête des résultats immédiats, cet investissement reste perçu avant tout comme un « coût », une « dépense » avec des effets visibles à moyen-long terme. Hormis l’option du cash transfer… qui reste très dépendante des dons monétaires internationaux et n’est pas une réponse viable à longue échéance. Elle n’incite pas les travailleurs à entrer dans le secteur formel.
Or il ne s’agit plus d’envisager la protection sociale comme un coût comptable mais bien comme un investissement économique. Là où des États comme la France y consacrent 31% du PIB, la plupart des pays dépensent moins de 2% de leur PIB à la protection sociale. Le Royaume du Maroc a récemment décidé d’emprunter cette voie et d’augmenter ses dépenses consacrées à la protection sociale à hauteur de 5% à l’horizon 2025. Pourtant, les ressources sont les mêmes, voire moindres en raison de la crise. Il s’agit bien là d’une décision politique.
La protection sociale, un stabilisateur économique
D’une région à une autre, on observe une grande disparité dans l’investissement social et il reste un long chemin à parcourir pour atteindre l’objectif 1 à 3 des Nations Unies. Aujourd’hui, 50% des personnes les plus pauvres ne reçoivent que 9% du revenu mondial alors que les 1% des plus riches en reçoit 20%.
Sans ces investissements financiers et ces mesures de soutien social, l’impact de la crise sanitaire sur le chômage, les revenus et la pauvreté́ aurait été beaucoup plus élevé́. L’un des principaux enseignements de cette de crise – les mêmes effets avaient déjà été remarqué lors de celle de 2008 -, est que la protection sociale fonctionne comme un véritable stabilisateur économique.
En Afrique de l’Ouest, l’économie s’est contractée de 1,1 % en 2020, y entraînant la première récession depuis 25 ans. Les prix alimentaires ont augmenté, de nombreuses entreprises ont été contraintes de fermer et les transferts d’argent des migrants ont été diminués. Les personnes vulnérables des zones rurales et urbaines ont été les plus touchées. Dans toute l’Afrique subsaharienne, jusqu’à 40 millions d’habitants risquent de plonger dans l’extrême pauvreté.
En réponse aux impacts du Covid-19 en Afrique de l’Ouest et du Centre, l’aide internationale (Union européenne, Banque mondiale, AFD, ILO, UNICEF, GIZ, USAID…) a soutenu le déploiement rapide et à grande échelle des transferts monétaires et fourni de l’aide à l’emploi aux communautés les plus pauvres depuis le début de la crise. Elle a ainsi apporté une aide précieuse à 19 pays de cette zone. Au total, environ 50 millions de personnes (soit 10 % de la population totale de la région) ont bénéficié de ce soutien.
La protection sociale, un impact à trois niveaux
Les effets d’atténuation sont visibles aussi bien sur les particuliers que sur les entreprises.
Ils sont observés au niveau méso, macro et micro. Au niveau méso, elle dynamise les économies locales. Au niveau macro, elle stimule la croissance qui produira une augmentation du niveau de vie des populations et quitteront progressivement le secteur informel. Au niveau micro, elle permet aux particuliers, aux ménages des programmes de protection sociale de « compenser les inefficacités des marchés du crédit, des assurances. »
Le schéma ci-dessous montre comment la protection sociale réduit la pauvreté́ de manière directe, grâce à la redistribution des ressources, et de manière indirecte, avec une réduction de l’incidence de pauvreté.

L’argent des migrants ne remplace pas la protection sociale
L’investissement dans la protection sociale est donc essentiel, mais il doit être accompagné par un engagement politique fort sur le long terme.
Malheureusement, le sous-investissement que l’on constate dans de nombreux pays en développement, avec pourtant un taux de croissance très élevé (6 à 7% en moyenne par an selon le BIT), se traduit bien souvent par la stagnation du secteur formel, et l’absence de hausse du salaire moyen. C’est hélas la preuve que cette croissance économique forte ne touche qu’une toute petite partie de la population.
D’autres pays décident d’emprunter une autre voie comptant notamment sur les envois de fonds de la migration ouvrière. Les sommes envoyées par les migrants dans leur pays d’origine atteint trois fois le montant total de l’investissement des États pour le développement, soit près de 529 milliards en 2018. Au Tonga, au Kirghizistan, au Tadjikistan, à Haïti et au Népal, ces transferts d’argent représentent, voire dépassent actuellement 25 % du PIB (d’apèrs les estimations de la Banque mondiale).

Source : KNOMAD – Global Knowledge Partnership on Migration and Development
L’argent envoyé joue le rôle social que devrait jouer celui de la protection sociale et sert à investir dans l’éducation, la santé… Aujourd’hui, les ressources humaines sont devenues la principale marchandise d’exportation. Cette migration ouvrière, elle a un visage : celui de femmes et d’hommes.
Aussi, ne détournons pas le regard et ensemble, grâce à l’investissement, la coopération internationale, continuons à financer, à construire des systèmes de protections sociales efficaces et pérennes afin d’offrir un socle de droits sociaux communs à tous.

Source : Anne BEINIER, mai 2021, près de 150 travailleuses Bangali à l’aéroport d’Amman portant toutes une casquette avec le sigle BOESL (Bangladesh Overseas Employment and Services Limited qui est une entreprise publique d’exportation de main-d’œuvre). Le taux de chômage en Jordanie est de 23%.