
Parmi les écosystèmes de notre planète, les littoraux font probablement partie des plus familiers. Et pourtant, force est de constater que, malgré notre technologie et nos savoirs, nos sociétés restent extrêmement vulnérables aux aléas qui les affectent, telles que les submersions et l’érosion chronique causée par les tempêtes, les cyclones ou les tsunamis. Les littoraux sédimentaires sont plus particulièrement sensibles à ces aléas, les plus vulnérables étant les deltas, les estuaires et les lagunes en raison de leur faible altitude. Ainsi, avec l’élévation globale du niveau des mers, plus d’un tiers de la surface des plus grands deltas (Gange-Brahmapoutre et Mékong) pourrait être inondé d’ici 2100. En ajoutant à cela une population qui ne cesse d’augmenter et de se concentrer à proximité des côtes, les enjeux sont devenus considérables. En 2010, environ 11 % de la population mondiale vivaient dans les zones littorales d’altitudes inférieures à 10 mètres.
Les littoraux : des dynamiques complexes
Les littoraux sont des systèmes dynamiques complexes, gouvernés par de multiples paramètres (vagues, marée, débits des fleuves, apports sédimentaires) et aux nombreuses rétroactions. Cette complexité est amplifiée avec les variations du niveau global des océans. Ainsi, à cause du réchauffement climatique, l’élévation du niveau de la mer a atteint 3,6 millimètres par an entre 2006 et 2015, alors qu’elle n’était que de 1,1 millimètre par an entre 1901 et 1990. Si le réchauffement climatique n’est pas enrayé, l’élévation globale du niveau des mers pourrait atteindre plus d’un mètre d’ici 2100. Or, l’élévation du niveau de la mer entraîne non seulement une augmentation du recul des côtes mais aussi des submersions plus fréquentes et plus amples.
À ces phénomènes s’ajoutent les effets des nombreuses activités humaines qui accentuent la vulnérabilité des littoraux. Le creusement des voies navigables et la poldérisation dans les estuaires peuvent entraîner une amplification de la marée. Le pompage du pétrole et de l’eau dans les zones côtières déclenche une subsidence (enfoncement de la surface du sol) parfois très rapide atteignant jusqu’à plusieurs centimètres par an. La déforestation provoque un envasement des embouchures et les extractions de sable et de graviers favorisent l’érosion des côtes. La conjonction de ces paramètres rend l’évolution des littoraux très difficile à prévoir, malgré les efforts de la communauté scientifique.
S’adapter à la montée des eaux
Comment s’adapter à l’élévation du niveau des mers ?Une réponse fréquente est la défense des côtes, avec deux types principaux de stratégies : dures ou douces. Les défenses dures comprennent les digues, les enrochements, les brise-lames et les épis. Elles présentent l’avantage de stabiliser le trait de côte. Mais au-delà de leur coût, elles comportent des désavantages : disparition du sable des plages, accès difficile à la mer, tendance à l’urbanisation en arrière des digues trop près des côtes, dégâts humains et matériels parfois catastrophiques en cas de rupture ou de submersion des digues.
Les défenses souples sont davantage pensées pour « fonctionner avec la nature », et cela à partir de nos connaissances sur le fonctionnement des littoraux. Elles comprennent les géotextiles, les récifs artificiels, les obstacles hydrauliques en bois, le drainage des plages, le transfert des sédiments et le rechargement des plages. Mais à l’instar des défenses dures, ces méthodes souples sont très coûteuses car elles doivent être continuellement entretenues, surélevées et élargies pour s’adapter au risque croissant de submersion. Le déploiement de ces défenses sur toutes les côtes n’est donc pas envisageable.
Une voie alternative gagne en popularité : s’adapter aux changements, sans se battre contre la nature. Elle recoupe quatre stratégies : le laisser-faire, le retrait, l’accommodation et les solutions fondées sur les écosystèmes. Le laisser-faire, ou la libre évolution de la côte sans intervention de l’humain, est limité aux secteurs à faibles enjeux. Le retrait, qui n’est qu’un déplacement vers l’intérieur des terres des enjeux liés aux objets et aux constructions auxquels les acteurs attribuent une valeur, n’est pas toujours possible et nécessite des systèmes d’indemnisation. L’accommodation, elle, consiste simplement à rendre acceptables les aléas. Face aux submersions par exemple, il pourra s’agir de faire des constructions flottantes ou sur pilotis.
Fonder les solutions sur les écosystèmes
La dernière de ces quatre stratégies d’adaptation est sans doute la plus prometteuse. En effet, les solutions fondées sur les écosystèmes s’appuient sur les qualités naturelles d’adaptation des écosystèmes côtiers aux aléas littoraux. Les récifs coralliens, les prés salés et les mangroves, lorsqu’ils sont en bonne santé, ont ainsi la capacité de s’élever en même temps que le niveau de la mer. Ils atténuent aussi les vagues et limitent les submersions marines ainsi que les effets des tempêtes et des tsunamis. Les dunes et les plages constituent un relief mobile particulièrement efficace pour dissiper l’énergie des vagues et des tempêtes. Même partiellement submergées, les dunes peuvent se reconstituer et rouler sur elles-mêmes dans un transfert de sable vers le continent.
Les solutions fondées sur les écosystèmes apparaissent ainsi comme efficaces et peu coûteuses. Même au-delà de leur rôle dans la protection des côtes, elles offrent de nombreux services. Les prés salés, par exemple, figurent parmi les meilleurs écosystèmes pour piéger le carbone, grâce à la photosynthèse de leurs plantes et à de forts taux de sédimentation. Ces écosystèmes côtiers sont également source de biodiversité. Ils assurent une meilleure qualité de l’eau, offrent des ressources alimentaires et contribuent même à l’amélioration de la santé mentale chez l’humain, par leurs paysages et la préservation de la nature.
Malgré tous ces avantages, certains obstacles empêchent encore le développement de ces solutions fondées sur les écosystèmes. L’espace nécessaire à leur mise en place peut par exemple faire défaut ou encore dépasser les limites administratives (communes, départements, régions ou pays). Elles nécessitent des apports sédimentaires qui sont parfois réduits par les activités humaines (barrages, extractions de granulats). Autre frein, leurs bénéfices ne sont pas immédiats. Les analyses coûts-bénéfices sont ainsi souvent mal évaluées et les gestionnaires manquent parfois d’expertise. Mais c’est au final principalement l’engagement politique qui fait défaut, l’absence de sentiment d’urgence chez les décideurs, le décalage entre les solutions à court terme et les objectifs à long terme et le manque d’un cadre juridique et politique pertinent.
Les solutions fondées sur les écosystèmes ne peuvent pas être appliquées partout
Il n’existe pas une solution d’adaptation unique pour améliorer la résilience des littoraux face au changement climatique. Le succès des différentes stratégies d’adaptation dépend des contextes géographiques, sociaux et institutionnels. Bien que de plus en plus mises en avant, les solutions fondées sur les écosystèmes ne peuvent pas être appliquées partout, tout le temps. La diversité des situations peut conduire à une hybridation de solutions « vertes » (solutions fondées sur les écosystèmes) et « grises » (ouvrages en dur), comme dans les environnements urbains, par exemple.
Aujourd’hui, l’adaptation des littoraux au changement climatique doit être pensée à long terme. Dans le même temps, deux défis majeurs doivent être pris en compte : la nécessaire limitation de notre consommation d’énergie si nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et l’arrêt de la destruction massive des écosystèmes. Des objectifs qui s’accompagnent d’impératifs, comme baisser les défenses des côtes au strict minimum, évaluer la balance coûts-bénéfices sur des échelles de temps plus longues, restreindre les nouvelles constructions trop proches des côtes, ne pas construire dans les zones littorales basses, préserver ou restaurer les écosystèmes littoraux, ou encore limiter les activités consommatrices de sédiments susceptibles d’alimenter les littoraux.
Les écosystèmes côtiers offrent des services bien au-delà des populations qui les côtoient. Véritables biens communs, ils sont et seront essentiels dans l’adaptation aux changements à venir.