
L’Organisation des Nations Unies a toujours eu des crises à gérer, mais cette année, les délégués à l’Assemblée générale de l’ONU à New York (AGNU) en avaient un nombre exceptionnel. Avec en sinistre toile de fond les turbulences financières de l’Amérique, l’angoisse face à l’avenir était palpable.
L’un après l’autre, les dirigeants mondiaux se sont succédés à la tribune pour expliquer à quel point la hausse des prix de la nourriture et du carburant a été dévastatrice pour les plus démunis de leurs pays, et qu’elle menaçait de renverser la croissance économique et les avancées considérables accomplies dans la lutte contre la pauvreté. Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations Unies, a averti que le monde était confronté à une « crise du développement », en exprimant son inquiétude que les pays riches prendront encore plus de retard dans leurs engagements envers les pays pauvres. De nombreux délégués et dirigeants que j’ai rencontrés ont fait écho à ces préoccupations.
Nous étions réunis au siège de l’ONU pour évaluer les progrès accomplis de par le monde pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). La conclusion dégrise: nous sommes déjà en très mauvaise voie pour la réalisation de ces objectifs, et la crise alimentaire mondiale risque de nous renvoyer à la case départ. Comme pour souligner cet état de fait, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a publié un bulletin consternant, qui coïncidait avec l’AGNU : selon ses recherches, la hausse des prix des denrées alimentaires à enfoncé 75 millions de personnes supplémentaires dans l’insécurité alimentaire - 923 millions de personnes, un chiffre sans précédent, luttent maintenant contre la faim au jour le jour.
Ces chiffres sont de très mauvais augures pour l’OMD 1, qui vise à réduire de moitié la proportion des personnes souffrant de la faim d’ici 2015. Ce sont aussi des nouvelles inquiétantes pour les autres OMD – que ce soit l’éducation primaire universelle, l’autonomisation des femmes, la réduction de la mortalité infantile et de la propagation du virus du VIH/SIDA – car, pour atteindre chacun de ces objectifs, il faut d’abord éliminer la faim aiguë. L’éradication de la faim est la clé de voûte du développement économique, un point c’est tout.
Et quand bien même, si le rapport sur les OMD était décourageant, les couloirs de l’ONU grouillaient avec l’enthousiasme suscité par le rôle de plus en plus important que joue le secteur privé dans la lutte contre la pauvreté. Comme quoi, les crises créent réellement des opportunités. Malgré le climat d’incertitude financière, ce phénomène est très prometteur et source d’espoir.
J’ai eu le privilège de travailler avec deux des plus éminents dirigeants d’entreprise au monde – Bill Gates et Howard Buffet – pour lancer un nouveau partenariat public-privé passionnant, « Les Achats au Service du Progrès » (de l’anglais « Purchase for Progress » – P4P). Le président de l’Ouganda, Yoweri Museveni; le président du Rwanda, Paul Kagame; le président de la Tanzanie, Jakaya Kikwete; et la première dame du Guatemala, Sandra Torres de Colom, nous ont rejoint pour la cérémonie de lancement au siège de l’ONU.
La Fondation Bill & Melinda Gates – qui s’est déjà engagée à investir plus de 900 millions de dollars pour le développement agricole dans les pays pauvres – s’est unie à la Fondation Howard G. Buffett et au gouvernement belge pour investir 76 millions de dollars pour les projets de l’initiative P4P.
Sur fond de crise alimentaire mondiale, nous attendons de l’initiative P4P qu’elle rénove le concept traditionnel de l’aide alimentaire : cette initiative permettra de transformer la manière dont nous répondons à des besoins désespérés – des vivres pour survivre – en une opportunité d’autonomiser les petits exploitants agricoles, pour renforcer leurs capacités et encourager une croissance réelle. Pour Bill Gates, il s’agit d’une « transformation ». Quant à moi, cette initiative est véritablement une révolution de l’aide alimentaire.
Comment cette initiative fonctionne-t-elle? Comme je l’ai écrit dans mon dernier post sur les achats locaux, le PAM est l’un des plus grands acheteurs au monde de denrées agricoles. En 2007, l’agence a dépensé 612 millions de dollars dans 69 pays – et en dépensera vraisemblablement un milliard en 2008. La « transformation » concerne la manière, dont nous achetons la nourriture. Plutôt que de faire des achats unitaires en fonction des besoins, de la disponibilité et des prix, nous allons initier des contrats à long terme ; ces contrats génèreront des revenus garantis, qui, par la suite, permettront aux agriculteurs de planifier à l’avance et d’acheter des semences, des engrais et du matériel, qu’ils ne pourraient pas se permettre d’acquérir autrement. Plus confiants et disposant de plus d’argent, les agriculteurs seront incités à investir dans la production de l’année suivante – ce qui améliorera les conditions de vie de leur famille et stimulera leur fragile économie locale. En tout et pour tout, nous prévoyons d’aider quelques 350 000 agriculteurs démunis dans 21 pays à sensiblement augmenter leur revenu. L’initiative P4P est une solution, où tout le monde gagne : nous aidons les plus démunis, qui souffrent de la faim et nous aidons les agriculteurs locaux, qui n’ont qu’un accès restreint ou inexistant aux marchés, sur lesquels ils pourraient vendre leurs récoltes.
Nous allons progressivement augmenter nos achats locaux pour nos cantines scolaires de par le monde. Permettez-moi de développer la question de l’alimentation scolaire, qui est l’un des investissements les plus rentables pour l’avenir de notre planète. Avec seulement 25 cents de dollar par jour pour nourrir un enfant à l’école, l’alimentation scolaire possède des bienfaits multiples. En cette période de hausse des prix de l’alimentation, elle fournit une sécurité sociale essentielle, qui contribue à satisfaire les besoins de ceux qui ont faim et à améliorer la stabilité sociale. Le PAM a étendu ses programmes d’alimentation scolaire pour les enfants pendant les vacances scolaires en Guinée, au Sénégal et en Haïti, où je me suis rendue récemment pour évaluer les dégâts provoqués par quatre tempêtes successives. Quand les écoles rouvriront le mois prochain, les repas de midi seront essentiels, pour nourrir les enfants et les aider à se concentrer sur leurs leçons, plutôt que sur la provenance de leur prochain repas.
L’alimentation scolaire est le programme le plus abordable et efficace de protection des droits humains des filles que je connaisse. Elles représentent la moitié des écoliers que nous nourrissons. Celles qui passent au moins cinq ans à l’école sont moins susceptibles de se marier jeunes, d’avoir des grossesses précoces, d’être victimes du trafic de personnes ou de contracter le virus du VIH/SIDA. Si elles sont présentes à l’école sans faute, beaucoup d’entre elles reçoivent des rations à remporter à la maison -un sac de riz supplémentaire ou de l’huile. Avec ces rations, elles deviennent le « gagne-pain » de la famille, ce qui élève leur statut, particulièrement dans les sociétés conservatrices. Ainsi, plus de filles vont à l’école et y restent. Presque partout dans le monde, quand le PAM met en place un projet d’alimentation scolaire, le taux d’inscription des filles dans cette école augmente de 28%. Une étude après l’autre nous a confirmé que l’éducation des filles est la base du développement économique.
La prochaine étape sera d’atteindre l’impact nutritionnel maximum, en travaillant non seulement avec nos propres nutritionnistes, mais aussi avec des entreprises qui souhaitent améliorer la nutrition dans le monde en développement. Dans la prochaine vague d’aide alimentaire, on trouvera le moyen d’augmenter la teneur nutritionnelle de nos repas scolaires et d’autres aliments, d’améliorer les emballages pour qu’ils conservent mieux les vitamines et les minéraux et pour qu’ils respectent davantage l’environnement.
Dans l’ensemble, cette semaine à New York a été inouïe. De voir le secteur privé faire de tels efforts d’investissement dans le développement – un domaine traditionnellement réservé aux pouvoirs publics ou aux organismes à but non lucratif- m’a énormément encouragée. C’est en travaillant ensemble par des partenariats public-privé novateurs, que les citoyens les plus démunis de notre planète pourront être acteurs de leur propre avenir – et du nôtre – en brisant le cercle vicieux de la faim et de la pauvreté à sa source.
Photo par FAO / Alessandra