
Pouvez-vous tout d’abord nous préciser ce qu’est l’assainissement ?
L’assainissement désigne la mise à disposition d’installations et de services permettant d’éliminer sans risque l’urine et les matières fécales. Les excrétas humains sont porteurs potentiels des virus, bactéries et parasites, déposés dans le milieu extérieur par la défécation à l’air libre ou l’absence d’assainissement. C’est ce qu’on appelle le péril fécal.
L’assainissement désigne aussi le maintien de bonnes conditions d’hygiène grâce à des services comme l’enlèvement des ordures et l’évacuation des eaux usées, qui contribuent à la propagation d’autres maladies fortement liées au statut nutritionnel des enfants, comme le paludisme.
Dans quelle mesure assainissement et nutrition sont-ils liés ? Dans quelle mesure le manque d’assainissement affecte-t-il le statut nutritionnel ?
La sous-nutrition se situe au carrefour de facteurs multiples, directs ou indirects. Parmi les causes, on peut citer l’insécurité alimentaire, les effets du changement climatique, le manque d’autonomie des femmes l’accès insuffisant à la santé, à la protection sociale ou encore à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement (EHA). Ainsi, l’assainissement est un élément essentiel de la sécurité nutritionnelle.
Les liens de cause à effet du manque d’assainissement sur le statut nutritionnel sont largement documentés. Des installations sanitaires inadéquates ou la défécation à l’air libre, encore pratiquée par 1 milliard de personnes, sont à l’origine de la contamination des sources d’eau. Cette contamination engendre un risque accru de diarrhées conduisant à une perte d’appétit, une déshydratation et mauvaise absorption des nutriments. Elle multiplie également les risques d’infections parasitaires intestinales (Ziegelbauer et al 2011). Enfin, l’entéropathie environnementale augmente la perméabilité intestinale empêchant ainsi l’absorption correcte des nutriments (Humphrey 2009) : cette maladie est un facteur de risque majeur de la sous-nutrition.
Le manque d’accès à l’assainissement et une mauvaise hygiène contribuent ensemble à 88% des décès provoqués par des maladies diarrhéiques. 2,1 millions d’enfants meurent directement ou indirectement de maladies liées à l’eau et à l’assainissement chaque année. Il existe donc clairement un cercle vicieux manque d’assainissement – sous-nutrition.
Comment les projets d’assainissement peuvent-ils contribuer à la réduction de la sous nutrition ?
De nombreuses études scientifiques ont prouvé le rôle significatif de l’amélioration des conditions d’assainissement sur le statut nutritionnel. Les interventions en EAH permettent une réduction significative de la diarrhée chez les enfants de moins de 5 ans (Fewtrell Review -Lancet 2005). Selon l’OMS, le fait de fournir un niveau élémentaire d’accès à l’assainissement pour tous se traduirait par 245 millions de cas de diarrhée évités. Les interventions en EHA ont un impact positif sur l’incidence de la sous-nutrition chronique, pouvant aller jusqu’à une réduction de 15% de sa prévalence (Cochrane, 2013).
Les interventions spécifiquement centrées sur l’augmentation de l’utilisation des latrines, comme les projets ATPC, ont un impact encore plus direct sur la sous-nutrition chronique (Spears & Hammer, 2013).
Enfin, n’oublions pas que les activités d’assainissement peuvent aussi contribuer de manière indirecte à la nutrition. C’est le cas des techniques d’assainissement écologique dont l’objectif, en plus de collecter les excrétas et les urines, est de les hygiéniser et de les transformer en amendement et fertilisant. La boucle est bouclée !
Mais en dépit de ces évidences, l’assainissement reste un secteur délaissé du secteur du développement pour lequel les investissements sont trop faibles.
Pourquoi cette faible prise en compte de la nutrition dans les projets d’assainissement ?
D’une part, les projets d’assainissement n’ont en majorité pas d’objectif nutritionnel. Si l’eau constitue un axe majeur de la politique de développement française, les prêts EAH s’orientent vers de gros projets urbains. En conséquence, les petits investissements nécessaires à l’accès à l’eau en zone rurale, parmi lesquels les latrines à fosse, sont écartés. Et ce, alors même que les populations rurales représentent 90% des personnes n’ayant pas accès à une source d’eau améliorée et 70% des personnes dépourvues d’investissement. N’étant pas prioritairement affectés aux populations les plus démunies, ces investissements contribuent peu à l’amélioration du statut nutritionnel des populations les plus fragiles.
D’autre part, les programmes de lutte contre la sous-nutrition et les programmes EHA fonctionnent indépendamment les uns des autres. Alors que le caractère multi-causal de la sous-nutrition est largement reconnu, l’approche multisectorielle tarde à se concrétiser sur le terrain. Elle se heurte notamment au fait que les allocations financières, les programmes et l’évaluation se font par secteur.
On passe donc à côté d’une occasion de lutter de manière holistique contre les causes sous-jacentes des maladies et de la sous-nutrition.
Si l’assainissement est négligé, il ne s’agit pas seulement d’investir davantage dans des projets sectoriels de développement d’infrastructures d’assainissement afin de « rééquilibrer » le désinvestissement sur ce secteur. Il s’agit aussi de promouvoir des interventions multisectorielles intégrant EAH, santé et nutrition.
La stratégie multisectorielle de réponse à la sous-nutrition ne pourra être confortée et pérennisée que grâce à un soutien politique massif. Plusieurs bailleurs majeurs ont pris la mesure de la rentabilité des investissements en nutrition ainsi que de l’effort à engager en adoptant des stratégies multisectorielles (Etats Unis, Union Européenne, DFID, Irlande, Banque Mondiale). La France doit aussi renforcer sa performance, dans un contexte de contraintes budgétaires.
Comment ? L’une des recommandations de la campagne Génération Nutrition est d’accroître l’impact nutritionnel des secteurs en lien avec la nutrition.
Quelles sont vos recommandations pour que les acteurs de l’assainissement intègrent davantage la nutrition dans leurs interventions ?
Les projets assainissement et nutrition doivent partager une stratégie commune de réponse. Par exemple, il faut inclure des représentants de l’autre secteur à toutes les étapes de leur cycle de gestion de projet. Il faut également assurer une cohérence géographique entre les différences interventions. Le ciblage des activités d’assainissement doit être réalisé sur des critères de vulnérabilité nutritionnelle : prendre en compte la prévalence de la sous-nutrition dans les zones d’intervention, prioriser la fenêtre cruciale appelée des « 1000 jours » de la conception aux 2 ans de l’enfant…
L’approche «WaSH et Nut », déjà mise en place dans plusieurs pays prioritaires de la coopération française, consiste à développer un paquet minimum d’activités au niveau des infrastructures sanitaires mais aussi dans les communautés, par exemple en ciblant le couple formé par l’enfant malnutri et son accompagnant.
Enfin, il est indispensable d’intégrer les chaines de valeurs assainissement et nutrition pour assurer la pérennité des financements et donc des interventions.
Génération Nutrition formule trois recommandations principales pour les bailleurs de fonds, les Etats et autres acteurs du développement :
- Augmenter la part des fonds dédiés à l’EAH à destination des populations les plus vulnérables.
- Renforcer les interventions ayant un impact important sur la réduction des maladies hydriques et de la sous-nutrition, notamment la sensibilisation à l’hygiène et à l’assainissement, qui accuse un très fort retard.
- Adopter et soutenir les approches intégrées EAH-nutrition, telles que l’approche «WaSH et Nut ».
Les Objectifs du Développement Durable intègrent une cible ambitieuse pour la réduction de la sous-nutrition. Alors qu’attendons-nous ?
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