
En l’espace de quelques semaines, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié deux rapports majeurs qui marquent un véritable virage stratégique pour l’institution. Ces travaux témoignent de la place croissante qu’occupent les ressources minérales dans le débat sur la transition écologique, tout en posant une série de questions nouvelles appelées à devenir centrales, notamment pour les acteurs du développement.
Le virage stratégique de l’AIE
Fruit d’un impressionnant travail méthodologique, le rapport « Net Zero by 2050 » présente une feuille de route détaillée pour un système énergétique mondial neutre en carbone d’ici à 2050. Pour parvenir à ce résultat, l’institution propose une stratégie audacieuse qui consiste à augmenter très rapidement et massivement la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique.
La réussite de ce scénario repose sur une série d’hypothèses fortes dont la plus emblématique est probablement l’arrêt immédiat de tout nouveau projet d’extraction de ressources fossiles. Une véritable révolution pour l’institution initialement créée pour en assurer la sécurité d’approvisionnement pour les pays consommateurs. Cette feuille de route, résolument optimiste, invite les États à passer à l’action sans plus attendre pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
Le second rapport, « The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions », est quant à lui plus pessimiste. L’agence y fait un constat encore trop marginalement connu : les ressources minérales sont essentielles pour la construction des énergies renouvelables. En effet, la construction d’un panneau solaire ou d’une éolienne peut, selon la technologie retenue, nécessiter plus d’une dizaine de ressources minérales différentes. Les batteries, qui vont devenir les piliers de l’électrification de nos systèmes énergétiques, sont quant à elles généralement composées d’importantes quantités de nickel, de lithium et de cobalt.
Cependant, de nombreux risques pèsent sur l’approvisionnement de ces matériaux critiques. La concentration géographique de la production de certaines ressources minérales essentielles à la transition énergétique – notamment le cobalt, le lithium et les terres rares – crée en effet une situation de dépendance vis-à-vis d’un petit nombre de pays, parfois considérés comme fragiles sur les plans politique ou économique. À un siècle de géopolitique du pétrole pourrait ainsi succéder un siècle de géopolitique des ressources minières de la transition.
Une transition au rythme insoutenable ?
Sur le plan industriel, la vitesse de déploiement des énergies renouvelables prévue dans les différents scénarios de l’AIE pourrait engendrer un décalage entre l’offre et la demande de certains métaux clés d’ici à 2030 (The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions, p. 119). Dans le Sustainable Development Scenario – un scénario compatible avec un réchauffement limité à 2 °C –, la demande mondiale de ressources minérales pour les énergies renouvelables serait, par exemple, multipliée par quatre d’ici 2040. Dans le scénario Net-Zero Emissions – compatible avec un réchauffement à 1,5 °C –, l’accroissement de la demande serait encore plus rapide : celle-ci serait multipliée par six d’ici 2040 (« The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions », p. 10).
Cette tension soudaine sur le marché des matières premières fait craindre une hausse du coût des énergies renouvelables et donc paradoxalement un possible ralentissement de la décarbonation des systèmes énergétiques en l’absence de formes de coordination à un niveau global. Les cours actuels de certains métaux témoignent des tensions déjà existantes sur les chaînes d’approvisionnement, le cuivre ayant récemment atteint son plus haut niveau depuis dix ans.
Croissance économique et consommation énergétique : un découplage hypothétique
Cela fait quelques années maintenant que les rapports des institutions internationales se multiplient pour souligner cette nouvelle dépendance aux ressources minérales. En 2020, la Banque mondiale avait alerté sur l’intensité en ressources minérales de la transition bas carbone. La nouveauté dans le cas récent de l’AIE, c’est la vitesse avec laquelle l’institution souhaite déployer des énergies renouvelables pour tenir les scénarios de réchauffement climatique les plus favorables. Il faut noter, par ailleurs, que les scénarios de l’AIE ne prennent pas en compte le contenu sans cesse croissant en ressources minérales de nos économies modernes (notamment dans les produits high-tech), lequel devrait donc en principe s’ajouter à ce surcroît de demande globale.
Et c’est bien ici que se situe une des principales limites de l’exercice de scénarisation de l’AIE. Les projections présentées dans le scénario « NZE » impliquent un découplage – encore hypothétique – entre la croissance économique et la consommation énergétique. Or, malgré des filières de recyclage de plus en plus performantes et des innovations qui facilitent la substituabilité des métaux dans les énergies renouvelables, il semble aujourd’hui très difficile de soutenir nos modes de consommation sans devoir extraire toujours plus de ressources minérales.
Même dans une perspective de trajectoire sobre, la question minière semble devoir se poser avec une acuité accrue dans les décennies à venir. Elle engendre du même coup des problématiques nouvelles pour les acteurs du développement.