
Le rôle fondamental du financement dans l’atténuation du changement climatique est inscrit à l’article 2.1(c) de l’Accord de Paris, dans lequel les Parties ont convenu de rendre « les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre. » Pourtant, depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015, les institutions financières publiques (IFP) contrôlées par les principaux pays du G20, y compris les banques multilatérales de développement (BMD), les institutions financières bilatérales et les organismes de crédit à l’exportation (OCE), ont mobilisé environ 80 milliards de dollars par an pour soutenir les chaînes de valeur liées aux combustibles fossiles. Ce qui dépasse déjà la moyenne annuelle extrapolée de 71 milliards de dollars de flux de financement climatique Nord-Sud mobilisés entre 2015 et 2019, en comparant les chiffres fournis dans les rapports de Bloomberg NEF et de l’OCDE.
En 2019, les OCE sont devenus la plus grande catégorie d’IFP soutenant les investissements dans les combustibles fossiles, fournissant un soutien d’au moins 25 milliards de dollars. Dans le même temps, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) souligne que pour atteindre les objectifs d’émissions nettes zéro d’ici le milieu du siècle, il faut cesser immédiatement de soutenir l’exploitation de nouveaux gisements de charbon, de pétrole et de gaz. Elle affirme en outre que la demande énergétique prévue peut être satisfaite par des alternatives zéro carbone à coût compétitif. Mais qu’est-ce qui empêche les gouvernements du G20 –, lors du sommet de Naples en juillet 2021, ces derniers ont réaffirmé leur engagement envers les objectifs climatiques de Paris – de mettre fin au soutien public au développement de nouveaux approvisionnements en combustibles fossiles via leurs OCE ?
Le financement des exportations contribue au verrouillage mondial du carbone
Que le financement des exportations puisse bénéficier d’un soutien officiel est essentiel pour promouvoir la compétitivité des entreprises nationales sur les marchés étrangers. Ce soutien est fourni par les OCE, qui sont soit des entreprises privées officiellement mandatées (comme l’OCE allemand Euler Hermes), soit des services gouvernementaux (du type Kingdom Export Finance), soit des banques publiques (tel Export-Import Bank of the United States). Entre 2015 et 2019, le financement de l’énergie par les principaux OCE du G20 est principalement associé aux chaînes de valeur liées aux combustibles fossiles (voir le graphique ci-dessous). Il est à noter que 70 % de ce soutien se concentre dans seulement quatre pays : le Japon, la Chine, la Corée du Sud et le Canada. Dans l’ensemble, les 10 premiers pays ont huit fois plus soutenu les activités liées aux combustibles fossiles que celles liées aux énergies propres, via leurs OCE.

Près de la moitié de leur soutien consiste en l’octroi de ce que l’on appelle des garanties ou des couvertures d’assurance. Ces dernières consistent en la prise en charge de risques en échange d’une prime généralement payée par l’exportateur ou par les banques qui financent les transactions d’exportation. Ainsi, les OCE améliorent les conditions de financement sur les marchés des capitaux ou émettent des assurances, par exemple contre les risques de non-paiement dus à des raisons politiques ou économiques.
Par exemple, en 2021 l’OCE néerlandais Atradius a souscrit un contrat entre une société de dragage néerlandaise et le géant français de l’énergie Total pour la construction d’une infrastructure offshore destinée à transporter du gaz naturel du fond marin vers une usine onshore, avec une responsabilité maximale de plus d’un milliard de dollars. Cette infrastructure fait partie d’un projet controversé de 20 milliards de dollars au Mozambique, pays en proie à de fortes tensions, dans lequel sept autres OCE du G20 sont impliqués, dont la Nippon Export and Investment Insurance (NEXI) au Japon, l’EXIM aux États-Unis et l’UKEF au Royaume-Uni. Si la violence dans la région venait à s’intensifier et bloquer le projet, les exportateurs de ces pays pourraient récupérer leurs pertes auprès des OCE.
Ainsi, l’intervention d’un OCE pour réduire les risques est souvent essentielle à la réalisation de projets à grande échelle et risqués ainsi qu’à la mobilisation de cofinancements privés et publics. Aujourd’hui, les mandats étroitement définis des OCE et la réglementation trop souple du financement des exportations en matière de changement climatique permettent leur implication dans des projets de combustibles fossiles et contribuent de manière significative à un verrouillage mondial du carbone.
Briser le cercle vicieux entre la peur de perdre et la compétitivité
Le cadre politique international le plus pertinent pour le financement des exportations est l’Arrangement de l’OCDE, dont l’objectif est de favoriser une concurrence loyale. C’est ce que l’on appelle des « règles du jeu équitables ». Ce cadre restreint le soutien aux centrales électriques au charbon les plus polluantes (ou à leurs composants), sans toutefois les interdire totalement.
À titre de comparaison, le groupe de travail de l’UE sur la finance durable recommande un seuil à la fois décroissant et indépendant de toute technologie de 100gCO2e/kWh, pour qu’une centrale électrique soit considérée comme « durable ». De telles recommandations excluent effectivement le soutien à toute production d’électricité à partir de combustibles fossiles sans capture ni stockage du carbone. En outre, l’Arrangement de l’OCDE ne restreint absolument pas les chaînes de valeur du pétrole et du gaz.
Les raisons de ces angles morts à l’égard de la lutte contre le changement climatique sont multiples. La concurrence rude avec la Chine en est une. Si un grand bloc économique, comme l’OCDE, se retirait soudainement des chaînes de valeur liées aux combustibles fossiles dans le financement des exportations, les États non-membres de l’OCDE, comme la Chine, s’engouffreraient sans doute dans la brèche et en retiraient des avantages gigantesques.
Autre raison : la mauvaise compréhension globale des émissions provoquées par le commerce et de leur attribution aux acteurs financiers intermédiaires ou aux assureurs, comme les OCE. C’est pourquoi les affirmations de découplage absolu entre croissance économique et émissions de GES ont été jugées « creuses », même dans les pays nordiques.
Enfin, les gouvernements, qui craignent de perdre des emplois nationaux, s’opposent à des réformes profondes du financement des exportations. Toutefois, cet argument a été réfuté par la réalité, et notamment avec le cas du Royaume-Uni, où les besoins en main d’œuvre du secteur de l’énergie verte ont explosé. Plus généralement, il est grand temps de reconnaître ces défis et de les transformer en opportunités en créant des règles du jeu équitables et durables conformément à l’Accord de Paris.
Définir l’alignement sur l’Accord de Paris : ce qu’il ne faut pas faire
L’OCDE – idéalement en partenariat avec la Chine – devrait promouvoir une approche pragmatique et prudente pour définir « l’alignement sur l’Accord de Paris » des institutions financières publiques (IFP) et du financement des exportations, ouvrant ainsi la voie à l’ensemble du secteur financier.
Cette approche devrait commencer par une définition des activités à supprimer progressivement, c’est-à-dire des chaînes de valeur qui compromettent directement ou indirectement les objectifs climatiques de Paris. Si l’on suit la dernière voie définie par l’AIE pour atteindre les objectifs « Net Zéro », cela signifie qu’il faut cesser immédiatement de soutenir l’exploitation de nouveaux gisements de combustibles fossiles, notamment le charbon, le pétrole et le gaz naturel.
Pour toute institution financière, « l’alignement sur l’Accord de Paris » devrait donc signifier, au minimum, l’arrêt du soutien à l’exploitation de nouveaux gisements de combustibles fossiles et des chaînes de valeur associées. Pour les OCE, cela implique un arrêt immédiat des contrats de souscription pour l’exportation d’équipements, de technologies ou de services potentiellement utilisés pour l’extraction de nouvelles énergies fossiles – quel que soit le type de combustible fossile. Au-delà de l’élimination progressive du soutien aux combustibles fossiles, une Méthodologie complète d’alignement sur l’Accord de Paris a été mise au point par Perspectives Climate Research et peut servir à identifier les principales lacunes et les moyens de les combler.
Vers l’expression d’une grande ambition lors de la COP26 à Glasgow
Les IFP ont la responsabilité particulière de contribuer à une reprise post-Covid juste et transformatrice puisque leurs actionnaires ou mandants représentent les Parties à l’Accord de Paris. Par conséquent, les IFP, et en particulier les OCE, doivent agir plus rapidement que les autres acteurs financiers et supprimer progressivement et de toute urgence le soutien public aux chaînes de valeur des combustibles fossiles.
Cela permettrait aux IFP de jouer le rôle de précurseur compte tenu de l’inertie des banques privées face à la transformation de la finance mondiale. Les gouvernements devraient former de toute urgence des coalitions de volontaires afin de créer une dynamique favorable au climat. Même si cela signifie que des avantages économiques à court terme pourraient profiter à des acteurs extérieurs pendant un certain temps.
L’initiative émergente « Export Finance for Future (E3F) » est un premier pas dans cette direction, bien que ses engagements actuels en matière d’atténuation restent vagues et fragmentés. La COP26 est l’occasion pour les pionniers d’établir des délais précis pour l’élimination progressive du soutien des OCE aux combustibles fossiles, ainsi qu’une feuille de route claire pour aligner pleinement le financement des exportations sur l’objectif de 1,5°C.