Les échanges ont été animés par Emmanuelle BASTIDE, journaliste à RFI. Sont intervenus David AUERBACH, co-fondateur de Sanergy ; Emmanuel BEAU , directeur d’investissement pour le fonds Energy Access Ventures (EAV) ; Jean Gabriel DAYRE , chargé d’affaires senior à Proparco ; Jean Michel LECUYER, directeur Général du Comptoir de l’Innovation et Stéphanie SCHMIDT, directrice Partenariats Ashoka Europe.
Éléments de définition
Il existe de nombreuses définitions de l’entrepreneuriat social. Celles-ci se rejoignent sur deux critères fondamentaux. D’une part, la raison d’être d’une entreprise sociale est de répondre à un enjeu social ou environnemental. Cette mission doit être clairement mise en avant dans ses statuts. D’autre part, ses activités doivent être guidées par la recherche d’un business model. Ce modèle doit lui permettre d’être soutenable à moyen terme, sans subventions.
Un troisième critère est également important : la cohérence. Celle-ci dépend notamment de l’impact sur la société de l’entreprise sociale. « Il est nécessaire de disposer d’un compte de résultat financier, mais aussi d’un compte de résultat social. Sans cela, la démarche de ces entrepreneurs ne peut être crédible » (J.-G. Dayre).
Ces critères font la singularité de l’entrepreneuriat social par rapport à l’entrepreneuriat traditionnel. « Mener une entreprise sociale implique de penser différemment d’un entrepreneur ‘‘classique’’ : cela consiste à rechercher le maximum d’impact social tout en menant une activité rentable. Il est plus difficile de jongler entre ces deux cultures » (D. Auerbach).
Un impact difficile à estimer
Il peut être difficile d’estimer l’impact d’une entreprise sociale. Cette difficulté peut être une question de coûts, amenant certains acteurs à parler de « performance » plutôt que « d’impact ». « La mesure d’impact demande des outils et des moyens que les entreprises dans lesquelles nous investissons n’ont pas nécessairement […]. Nous préférons mesurer la performance environnementale de l’entreprise, l’aider à mettre en place des outils qui fonctionnent et qui peuvent être déployés dans la durée à moindre coût » (E. Beau).
Estimer l’impact d’un projet prend également du temps. « Développer un modèle viable requiert beaucoup d’expérimentation » (D. Auerbach). « Il faut généralement entre huit et dix ans pour tester, piloter et affiner les modèles qui vont permettre de passer à l’échelle » (S. Schmidt).
Penser la rentabilité autrement ?
À toutes les étapes de la vie d’un projet, les investisseurs doivent ainsi faire preuve de souplesse dans l’évaluation de l’impact social. « Nous avons opté pour une approche dynamique : nous incubons une entreprise sociale lorsque […] nous sommes convaincus qu’elle est réellement guidée par une volonté d’impact. Elles viennent le plus souvent nous voir avec un projet de petite entreprise, et le reste est à construire dans la durée avec elles » (J.-M. Lecuyer).
Cette souplesse repose sur la redéfinition du critère de rentabilité. Les objectifs sociétaux poursuivis par les social business permettent de s’orienter vers un triptyque risque-rentabilité-impact. « Nous travaillons avec de petites sociétés très innovantes, dotées d’un fort potentiel d’impact et une rentabilité faible. Pourquoi sommes-nous prêts à accepter le risque ? Parce que dans le retour global, nous prenons en compte le retour sociétal » (J.-G. Dayre).
Recommandations pour les années à venir
Trois pistes d’action sont envisageables pour encourager le développement et le passage à l’échelle des entreprises sociales.
La première piste serait de développer un écosystème favorable en s’inspirant notamment des succès enregistrés dans le secteur de la microfinance. Il serait intéressant de créer « une plateforme de type MIX Market qui disséminerait l’information sur les social business ayant atteint une certaine taille » (J.‑G. Dayre), ou encore d’ouvrir un fonds de réplication dédié à l’entrepreneuriat social dans un ou plusieurs pays. « La véritable question est en fait celle de la réplication : comment répliquer un succès qui a déjà eu lieu ? […] Il n’existe pas encore de fonds de réplication comme on en trouve dans l’économie standard » (J.-G. Dayre). Ces premières recommandations produiront des résultats dans le long terme : « Ma recommandation est de se donner du temps. Construire un écosystème est une entreprise de longue haleine » (J.-M. Lecuyer).
Une deuxième piste serait d’inciter les agences de développement à co-investir dans les entreprises sociales pouvant passer à l’échelle. « Ce qui compte est d’aider les entreprises à se répliquer dans différentes géographies en ajustant leur modèle à différentes réalités socioculturelles. Nous aurons besoin de co-investissements dans les entreprises dans lesquelles nous investissons, une fois qu’elles auront démontré leur capacité à passer à l’échelle » (E. Beau).
La troisième piste serait de soutenir la cocréation entre secteurs et entre différents types d’acteurs, que ce soit entre les entrepreneurs sociaux ou encore avec les entreprises classiques et avec les pouvoirs publics. « Les barrières qu’une entreprise classique et une entreprise sociale rencontrent pour passer à l’échelle sont très différentes. Elles sont donc complémentaires et peuvent travailler ensemble » (S. Schmidt).
Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD