Ces échanges ont été animés par Emmanuelle Bastide, journaliste à RFI. Sont intervenus Agnès Deboulet, professeur de sociologie urbaine à Paris 8 Vincennes-Saint-Denis et membre du Centre de Recherche sur l’Habitat / laboratoire Lavue, spécialiste des quartiers précaires; Amandine Dukhan, chef de projets développement urbain et collectivités locales à l’Agence Française de Développement; Fethi Mansouri, directeur de cabinet du Ministère de l’équipement, de l’aménagement du territoire et du développement durable de Tunisie; Virginie Rachmuhl, responsable de programmes urbains au GRET et Mouh Rejdali, député et Élu municipal, ancien Maire de la ville Temara, Maroc.
Dans un contexte mondial d’urbanisation croissante, la résorption des zones d’habitat précaire constitue un défi majeur pour les villes. Il est impossible d’envisager une réponse unique au phénomène car les situations sont très diverses. Le Gret et l’AFD « privilégient la réhabilitation in-situ » mais n’opposent pas les deux approches. Si les conditions de réussite de ces opérations sont nombreuses, deux apparaissent particulièrement importantes : la participation des habitants tout au long du processus ainsi qu’une volonté politique d’inclure ces populations et ces quartiers au reste de la ville.
Les enjeux urbains constitués par l’habitat précaire
Les zones d’habitat précaire visibles sont « symptomatiques d’un développement à deux vitesses des villes du Sud » (Amandine Dukhan). Leurs habitants font face à diverses formes d’exclusion ou d’insécurité: l’insécurité foncière, liée au caractère illégal ou informel des constructions et de l’occupation ; les inégalités territoriales, qui privent une partie de la population d’équipements et de services publics de base, et freinent ainsi sa mobilité ; enfin, l’exclusion socio-économique, dans la mesure où ces quartiers concentrent les populations les plus pauvres et une majorité des emplois informels.
Il est donc nécessaire de « reconnaître que [ces quartiers] participent à la fabrique urbaine » (Amandine Dukhan). Cela pour des raisons d’équité : « une majorité des populations des quartiers précaires reçoit une infime minorité des ressources publiques » (Agnès Deboulet).
Mais aussi par pragmatisme : en effet, « les habitants des bidonvilles seront deux milliards en 2030 » (Virginie Rachmuhl). Dans la perspective d’un développement équilibré des centres urbains, il devient urgent d’intégrer ces populations. De plus, c’est une « question de justice territoriale et de répartition des richesses » (Agnès Deboulet).
Un diagnostic à établir au cas par cas
Le préalable indispensable pour une planification et gestion urbaines efficace et cohérente consiste déjà à rendre visible l’existence des zones d’habitat précaire sur les cartes : ainsi, par exemple, « au Kenya, à Eldoret, le schéma directeur de la ville ne représentait pas les quartiers précaires » (Amandine Dukhan).
Ensuite, dans la mesure où « il n’y a pas de solution magique commune » (Moh Rejdali), l’élaboration des projets de réaménagement de ces quartiers nécessite d’identifier leurs spécificités. « Contre la tendance à la standardisation [et] l’orthodoxie de la ville orthogonale » (Agnès Deboulet), la reconnaissance des héritages historiques, culturels, géographiques… propres à chaque aire est un prérequis fondamental. Ainsi, d’un pays du Maghreb à l’autre, on observe des caractéristiques particulières : « À la différence des pays de la région, les quartiers précaires en Tunisie ne sont pas des bidonvilles ». Ces héritages expliquent notamment la « diversité de statuts locatifs et de statuts hybrides d’occupation foncière » (Agnès Deboulet) : en prendre conscience permet d’appréhender la question foncière dans toute sa complexité.
Enfin, la seule manière d’avancer vers des solutions pérennes et adaptées est de prendre en compte l’avis des premiers concernés : la participation des habitants de ces quartiers permet de « s’appuyer sur les dynamiques locales » (Virginie Rachmuhl).
Envisager des approches multiples
Quelles solutions concrètes s’offrent aux acteurs impliqués ? Du « relogement à la réhabilitation, en passant par les pratiques de land sharing typiques des pays de tradition anglo-saxonne, il y a toute une gamme d’approches urbanistiques à prendre en compte » (Agnès Deboulet).
Le réaménagement d’un quartier comporte plusieurs volets :
- La sécurisation foncière est parfois un préalable pour rassurer les populations ;
- Il faut ensuite restructurer le quartier et le raccorder, aussi bien physiquement que symboliquement, au centre urbain ;
- La mise en œuvre d’une « mixité sociale organisée » (Fethi Mansouri): à Temara, elle s’instaure « par la présence de lots promotionnels destinés à la classe moyenne » et de locaux commerciaux qui animent la nouvelle zone urbaine (Moh Rejdali).
- Enfin, dans la mesure où les compétences en urbanisme, en politique publique locale ou en accompagnement social font souvent défaut dans les pays du Sud, l’accent doit être mis sur la formation.
Une maîtrise d’ouvrage ambitieuse et globale
« Rien n’est possible sans une véritable volonté politique et une maîtrise d’ouvrage qui portent le projet sur la durée » (Amandine Dukhan). Celui-ci doit donc intégrer plusieurs dimensions.
Il nécessite une réflexion sur l’échelle spatiale d’intervention : au Maroc, par exemple, « le traitement des quartiers précaires doit se faire dans une conception régionale et non locale » (Moh Rejdali). Il doit également s’inscrire sur le long terme en s’appuyant sur une planification réfléchie : « Normalement, la ville se planifie, puis se construit ; les villes du Sud se construisent et la planification se fait par rattrapage » (Virginie Rachmuhl).
Enfin, « le vrai défi est celui de la prévention pour que l’on n’ait à réhabiliter que les centres anciens et historiques » (Fethi Mansouri).