Un marché pharmaceutique astreint à l’importation
En 2018, 58 ans après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le pays importe près de 94 % des médicaments qu’il consomme. « Ce taux est lié à un modèle économique hérité de la colonisation » (Mahama Ouattara). « Jusqu’à présent, la question de développer une production locale ne s’était pas posée de façon saillante » (Mahama Ouattara). Toutefois, l’importation massive entraîne des problèmes de traçabilité et de qualité du médicament. Une situation partagée par la majorité des pays africains. « Cela favorise le marché informel, avec l’explosion du trafic de médicaments contrefaits, sous-dosés, parfois mortels dans ce que l’on appelle en Afrique les pharmacies par terre » (Igor Strauss). Les multiples intermédiaires induisent également un coût supplémentaire : « si un médicament est nécessaire pour la Côte d’Ivoire et que l’Inde le fabrique, ce sont les grandes centrales d’achat européennes qui doivent d’abord l’acheter pour ensuite l’acheminer » (Mahama Ouattara).
Pas de médicaments sans infrastructures de qualité
Il est donc essentiel d’assurer une production locale de médicaments. Dans ce contexte, la question de la qualité des infrastructures est un enjeu crucial. « Toutes les autorités locales doivent se pencher […] sur les infrastructures – c’est-à-dire les routes, l’assainissement de l’eau, l’électrification » (Layla Laassel Sentissi). Au Sénégal par exemple, lors de la construction d’une nouvelle chaîne de production locale pour les vaccins de la fièvre jaune « on fait face à de nombreux challenges, qui sont parfois très basiques. On doit avoir accès à des infrastructures fiables, à de l’électricité et à de l’eau de qualité pour fabriquer des produits hautement innovants » (Sarah Crochon).
Harmoniser les réglementations
Mais en amont des infrastructures, « une des conditions essentielles pour garantir la disponibilité et la qualité des médicaments, est d’avoir un cadre institutionnel et un cadre législatif » (Sarah Crochon). La législation permet en effet de garantir la qualité des médicaments. « Bien que l’Afrique ait de grands besoins, on n’arrive pas encore à pénétrer tous les marchés africains. Le manque d’harmonisation de la réglementation est en effet très contraignant » (Igor Strauss). L’absence de cadre législatif constitue un frein à l’exportation. « Si on n’a pas la même réglementation, on ne peut pas avoir la même homologation et lutter contre les faux médicaments » (Mahama Ouattara). « Entre le moment où le médicament arrive dans la centrale d’achat et celui où il arrive dans les différents districts communautaires et les différents hôpitaux, il y a des zones grises » (Jean-François Alesandrini). Un cadre réglementaire solide permet d’assurer la traçabilité des médicaments.
L’indispensable régulation
Toutefois, « la réglementation doit être dissociée de la régulation » (Mahama Ouattara). Dans un contexte de faibles ressources budgétaires étatiques, les acteurs privés sont de plus en plus sollicités par les pouvoirs publics pour veiller à la qualité des médicaments. En Côte d’Ivoire, le premier objectif de l’AFD est de créer la nouvelle autorité ivoirienne du médicament : « Nous voulons arriver à séparer les activités normatives de la régulation et créer une vraie agence de régulation pharmaceutique qui soit autonome » (Sarah Crochon). Le second objectif de l’AFD est « de venir en appui aux laboratoires de santé publique, de les renforcer en matière de capacité, de formation mais aussi d’équipement » (Sarah Crochon).
L’exemple marocain
Certains pays ont su tirer leur épingle du jeu. Quand on parle d’accès aux médicaments en Afrique, le Maroc est souvent cité en exemple. « La production marocaine couvre près de 60 % des besoins du pays » (Igor Strauss). Une volonté politique forte est à l’origine du modèle économique du pays : « L’industrie pharmaceutique étant un secteur stratégique, il fallait développer l’industrie locale […] L’État a insufflé une dynamique réglementaire, il a instauré une réglementation très forte. Ce sont les premiers jalons à mettre en place pour une industrie locale » (Layla Laassel Sentissi). Après les années soixante, l’État a interdit l’importation des médicaments pouvant être fabriqués au Maroc. « L’objectif était de les fabriquer localement. Cela a permis aux multinationales qui étaient installées au Maroc de passer au stade de la production » (Layla Laassel Sentissi). L’État marocain a mis en place les conditions de l’essor de l’industrie pharmaceutique. C’est ensuite le secteur privé qui l’a développée.
Le médicament : levier économique pour la recherche et développement
S’il est essentiel de réguler les importations et de favoriser le développement d’une production locale des médicaments, il est également urgent d’assurer des conditions propices à la recherche et développement pour que la production réponde aux problématiques de santé locales. « Les multinationales qui exportent les médicaments en Afrique n’assurent pas de recherche et développement pour les maladies tropicales » (Layla Laassel Sentissi). L’ONG DNDi, créée il y a une quinzaine d’années, est un exemple de structure visant à combler ce déficit : « Elle a relancé la recherche sur des maladies dites négligées selon les classifications de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) » (Jean-François Alesandrini). Un défi d’autant plus important que le secteur du médicament peut devenir un véritable levier de croissance économique : « Il engendre une manne financière, mais surtout de l’emploi et une souveraineté thérapeutique » (Layla Laassel Sentissi).
Dans les années à venir, l’industrie pharmaceutique participera à la croissance de l’Afrique. Selon des estimations, les dépenses pour les produits pharmaceutiques devraient atteindre entre 40 et 45 milliards de dollars par an en Afrique d’ici 2020, contre 14,5 milliards en 2010.
Vous pouvez aussi retrouver le numéro 28 de la revue Secteur Privé et Développement : « Le médicament en Afrique »
Cette conférence a eu lieu le 3 avril 2018 à l’AFD.
Les échanges ont été animés par Igor STRAUSS, journaliste à RFI.
Sont intervenus :
Jean-Francois ALESANDRINI, Directeur des affaires extérieures, Drugs for Neglected Diseases Initiative – DNDi; Layla LASSEL SENTISSI, Pharmacienne, Directrice Exécutive de l’Association Marocaine de l’Industrie Pharmaceutique (AMIP); Mahama OUATTARA, Professeur de Chimie Médicinale, Directeur Adjoint de la Direction de la Pharmacie, du Médicament et des Laboratoires Côte d’Ivoire, Président de la Société Savante Pharmaceutique de Côte d’Ivoire (SOPHACI) et Sarah CROCHON, Responsable Equipe Projet au sein de la division la division Santé et protection sociale, Agence Française de Développement.
Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD