L’année 2015 est une étape majeure pour l’aide au développement : aux Objectifs du millénaire (OMD) fixés en 2000 vont succéder les Objectifs de développement durable (ODD). La conférence d’Addis Adeba de juillet 2015 portera spécifiquement sur la question du financement du développement. L’occasion de prendre acte des changements survenus en 15 ans et de faire le point sur les outils financiers qui permettront d’atteindre les ODD.
Le financement du développement : nouveaux acteurs, nouveaux enjeux
Depuis les années 2000, aborder la question du financement du développement « comme une négociation de flux Nord-Sud » devient « une conception obsolète » (Tancrède Voituriez). Certains États ont changé de posture : les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont à la fois « récepteurs et fournisseurs de financements » (Philippe Orliange). Cela ne va pas sans ambiguïtés. Toujours membres du G77+Chine, ils défendent dans le financement du développement un « clivage Nord /Sud » qui ne correspond pas forcément à la réalité de la situation : « La Chine est désormais un pays riche avec beaucoup de pauvres, et non plus un pays pauvre avec beaucoup de riches » (Tancrède Voituriez).
Par ailleurs, les négociations ont vu apparaître de nouveaux interlocuteurs : les acteurs locaux et les fondations privées. Le « mouvement mondial de transferts accrus de responsabilités aux acteurs locaux » (Philippe Orliange) s’observe dans les pays récepteurs comme dans les pays fournisseurs de financements : ainsi, en France, « les collectivités ont rédigé un plaidoyer pour défendre la coopération décentralisée » (Majdouline Sbaï). Quant aux fondations privées, elles ont pris une importance considérable : la fondation Gates par exemple « apporte 3 milliards de dons par an au financement du développement » (Philippe Orliange).
L’émergence de nouveaux enjeux est aussi perceptible dans l’élaboration des ODD. La notion de développement a gagné en ambition : son financement porte désormais sur « une capacité renforcée de mise en place des politiques publiques », la réalisation d’objectifs globaux comme « l’industrialisation, la croissance, le plein-emploi » (Tancrède Voituriez). Autre thématique forte : le climat, un « enjeu planétaire partagé » (Majdouline Sbaï). Enfin, la mention des problématiques de gouvernance dans les ODD constitue une « avancée remarquable » (Philippe Orliange). L’enjeu concret est la mise au point d’institutions « plus justes, plus transparentes » qui donnent la parole aux sociétés civiles : par exemple CCFD-Terre Solidaire « cherche à renforcer la capacité des sociétés [du Sud] à interpeller leur propre gouvernement » (Caroline Doremus-Mege).
Des outils de financement diversifiés…
Pour accompagner ces mutations, le financement de l’aide au développement se diversifie progressivement.
Les acteurs politiques ont en main de nombreux leviers. Un « enjeu prioritaire » est ainsi de « tout mettre en œuvre pour renforcer les ressources domestiques des États […] et aller vers un développement endogène » (Caroline Doremus-Mege). Cela passe par un effort des États eux-mêmes en faveur d’une fiscalité équitable et par « des initiatives internationales » (Philippe Orliange) comme « la création d’un organisme intergouvernemental » de lutte contre l’évasion fiscale (Caroline Doremus-Mege). Autre initiative émanant d’acteurs politiques : les partenariats dans le cadre de la coopération décentralisée. Leur « apport n’est pas simplement financier » mais aussi « dans l’expertise » (Majdouline Sbaï).
D’autres outils sont ceux proposés par les banques de développement, acteurs centraux du financement. Une agence comme l’AFD dispose de toute une gamme d’outils financiers : la subvention, le prêt, le mixage prêt-don, les instruments adaptés aux collectivités territoriales ou aux ONG… En effet, « la boîte à outils idéale » est celle qui « permet de répondre à un grand nombre de demandes diversifiées » (Philippe Orliange). La Banque de développement d’Amérique latine (CAF), « seule institution financière multilatérale [à être] presque exclusivement la propriété de pays en voie de développement » combine elle aussi « mécanismes […] traditionnels » et mécanismes « nouveaux » visant à « promouvoir la participation du secteur privé local et international au financement du développement » (Luis Enrique Berrizbeitta).
… au risque d’une privatisation de l’aide au développement ?
« La place croissante accordée au financement privé » via les partenariats public-privé représente néanmoins un sujet de préoccupation majeure pour les ONG qui, comme CCFD-Terre solidaire, « participent au financement du développement ». « Tout investissement n’est pas gage de développement » : il peut s’accompagner « d’atteintes à l’environnement, de violations des droits de l’homme… » (Caroline Doremus-Mege). Pour l’AFD, il importe donc que « chacun trouve son compte dans le partenariat en termes de durabilité économique et de soutenabilité environnementale et sociale » (Philippe Orliange). La Région Nord-Pas-de-Calais a ainsi refusé les financements privés dans un projet d’accès à la santé par l’ethnopharmacologie à Madagascar, y voyant un risque « [de] brevetage ou [d’]exploitation à des fins commerciales de principes actifs » (Majdouline Sbaï).
« La création de garde-fous pour encadrer le secteur privé et son implication dans le développement » sera l’un des grands enjeux des ODD (Caroline Doremus-Mege). Alors que des États comme la France, « sous forte contrainte budgétaire », n’envisagent pas de dégager des « budgets plus élevés pour les pays en développement », le nouveau cycle de développement qui s’ouvre implique de parvenir à un équilibre entre engagement public et privé, avec une « compréhension désormais plus réaliste de ce que [l’un et l’autre] peuvent faire » (Tancrède Voituriez).
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