En Europe, la problématique des migrations a pris une nouvelle dimension avec la multiplication des conflits sur les rives Sud de la Méditerranée. Il faut pourtant distinguer entre déplacés forcés et migrants économiques, et concevoir des solutions pour que les populations concernées puissent évoluer d’un statut à un autre. Cela implique d’articuler l’approche humanitaire, qui permet la gestion de crise, et l’approche de long terme, qui pose les bases d’un développement pérenne des pays hôtes.
Les migrations : quelques repères
« Le sujet des migrations s’est inscrit dans l’agenda des politiques, qui ont, à l’excès, simplifié et parfois déformé le sujet, souvent en des termes caricaturaux » (P. Orliange). Il est nécessaire d’identifier les populations concernées, les raisons de leurs déplacements, et les réalités géographiques que cela recoupe.
Pour 2010-2011, « dans les pays de l’OCDE, on compte 113 millions de migrants, soit 40 % de plus qu’au début des années 2000 ». Leur profil a évolué : « ils sont de plus en plus éduqués » ; par ailleurs, « beaucoup sont des femmes ». Les premiers pays dont ils sont originaires sont la Chine et l’Inde.
Ces éléments globaux ne doivent pas masquer la différence de nature entre deux types de migrations. Dans l’OCDE, « la majorité des flux permanents restent des migrations pour regroupement familial, la libre circulation en Europe et la migration de travail » (T. Xenogiani). Mais il faut distinguer ces « migrants économiques, souvent volontaires », des « déplacés forcés, souvent poussés sur les routes par des situations de violence et de conflit » : ceux-ci représentent « environ 60 millions de personnes : 20 millions de réfugiés, 40 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ». Venus essentiellement d’Afghanistan, de Somalie, de Syrie et des deux Soudan, ils cherchent d’abord à atteindre les pays voisins : le Pakistan, l’Iran, le Liban, la Jordanie, la Turquie… Au total, « 86 % des déplacés sont accueillis par des pays en développement » (X. Devictor).
Migrants économiques et déplacés forcés : des situations a priori bien distinctes
Dans le cas des migrants économiques, « l’impact général sur le marché du travail des pays d’accueil est positif ». Présents en nombre dans tous les secteurs, et notamment ceux, fondamentaux, de l’éducation et de la santé, ces migrants « contribuent au marché du travail des pays d’accueil par leurs compétences et par leur jeune âge ».
Dans le cas des déplacés forcés, le contexte de détresse et d’urgence constitue une difficulté particulière. Au Moyen-Orient, 5 pays hôtes – Égypte, Jordanie, Liban, Turquie et Irak – accueillent « aujourd’hui 19 millions de personnes déplacées par des conflits ou par crainte de persécution » (F. Reybet Degat). La crise humanitaire ne cesse d’empirer : « Les réfugiés qui avaient trouvé refuge dans ces pays hôtes depuis 2011 ont perdu tout espoir du fait d’un appauvrissement croissant. » Nombre d’entre eux migrent vers l’Europe, où ils connaissent souvent des conditions de vie extrêmement dures : dans le Nord de la France, à Grande-Synthe, « 3 000 personnes, dont beaucoup de familles […] dorment sous des tentes minables à même le sol » (J.-F. Corty).
Face à l’ampleur de cette crise, la réponse internationale est insuffisante. En témoignent les moyens financiers accordés à une institution comme le Haut-Commissariat aux réfugiés qui, « en 2013, 2014 et 2015, n’était financé qu’à hauteur de 45 à 50 % » (F. Reybet Degat). Le manque de coordination globale est également visible dans les pratiques d’« externalisation de l’exil » (J.-F. Corty) qui amènent certains États à laisser à d’autres, plus proches géographiquement des situations de crise, le soin d’absorber les flux migratoires.
De l’humanitaire au développement, penser les flux migratoires sur le long terme
Ce constat d’une gestion défaillante des flux migratoires doit amener les différents acteurs – États, ONG, institutions internationales et agences d’aide au développement – à modifier leur approche.
C’est « dès le début d’une crise que les acteurs humanitaires et du développement doivent travailler ensemble » et imaginer la dimension durable des réponses apportées dans l’urgence. Dans le camp de réfugiés de Zataari en Jordanie, le HCR a d’abord payé très cher pour apporter l’eau en camion aux populations, alors que « la réponse évidente était d’organiser une grille d’adduction d’eau qui fasse partie du système national ». Il faut également cibler différemment les populations à travers une approche zonale, qui « prend en compte une zone où il y a des réfugiés, des résidents, des communautés hôtes » : on y apporte « un ingrédient humanitaire et un ingrédient de développement avec un rôle leader du Gouvernement » (F. Reybet Degat). Toujours en Jordanie, dans la ville d’Irbid, l’AFD met en place un programme qui comprend à la fois la rénovation des infrastructures et l’accès à l’eau : « [ce] travail social portera sur les ménages vulnérables dans leur globalité », parmi lesquels un tiers de Jordaniens (S. Snrech).
Le rôle des agences de développement est également d’aider les États à prendre conscience que les réfugiés peuvent devenir des « contributeurs économiques [qui] s’installent durablement dans les pays de destination » (T. Xenogiani). La Banque mondiale est à l’origine d’une étude sur les réfugiés et le marché du travail en Turquie : en apportant des réponses plus sophistiquées que les arguments populistes, elle permet « d’engager un dialogue avec les autorités turques pour les encourager par exemple à élargir les opportunités de travail légal […] pour les réfugiés » (X. Devictor). Pour qu’ils récupèrent une partie des ressources ainsi générées, il y a ensuite « un travail macro-financier et fiscal à mener » avec les États (S. Snrech).
Des solutions à l’échelle internationale
À l’échelle internationale, il est impératif de reconsidérer la question des financements de l’aide humanitaire globale. En plus d’être insuffisants, ils sont mal adaptés : des pays comme la Jordanie ou le Liban « produisent un bien public global en […] accueillant un nombre important de réfugiés » mais ils « ne peuvent pas recevoir d’aide structurelle à long terme du fait de leur statut de pays à revenu intermédiaire » (F. Reybet Degat). La réponse tient aussi dans la révision des dispositifs juridiques et une plus grande souplesse dans l’ouverture des frontières : en créant des visas humanitaires, « les chancelleries des pays européens dans les pays tiers permettent à des gens de prendre l’avion plutôt que des bateaux pourris sur lesquels ils vont se noyer » (J.-F. Corty). Le HCR plaide quant à lui pour « l’augmentation des places de réinstallation mais aussi des visas étudiants […], des permis de travail temporaire » (F. Reybet Degat).