Son PIB par habitant est l’un des plus faibles au monde mais sa croissance avoisine les 10 %. L’Éthiopie progresse grâce à sa forte épargne et au soutien des investissements étrangers. Entretien avec Meles Mebrahtu, ministre éthiopien de l’Industrie.
Que représente l’industrie dans l’économie éthiopienne ?
L’industrie représente environ 15 % du PIB de l’Éthiopie, contre 39 % pour l’agriculture et 46 % pour les services. L’industrie connaît une forte croissance, de l’ordre de 8,8 % en 2015, mais n’emploie que 5 % à 7 % d’une force de travail importante. Nos 49 millions d’actifs dépendent en effet à 80 % de l’agriculture.
Nous visons à faire passer la part de l’industrie à 25 % du PIB d’ici 2025. Les manufactures contribuent pour l’instant à seulement 5 % du PIB, une part qui doit s’élever à 15 % dans dix ans. Nous mettons l’accent sur les manufactures légères, afin de transformer sur place nos matières premières, issues de l’agriculture et de l’élevage. Céréales, café, graines, coton, canne à sucre, légumes, fleurs coupées et bétail représentent l’essentiel de nos exportations.
Nous menons un programme pilote avec l’Onudi pour construire des parcs industriels agro-alimentaires afin d’attirer des investissements et poursuivre notre transformation économique. Celle-ci a été massive, durant les douze dernières années, et centrée sur les manufactures légères.
Notre objectif est de devenir un pays à revenu intermédiaire. Nous souhaitons également moderniser notre agriculture pour aller vers un secteur primaire commercial, susceptible d’améliorer les revenus des exploitants.
Avez-vous réalisé des études prospectives pour élaborer votre politique d’industrialisation ?
Nos programmes à long terme vont jusqu’en 2025. Notre second plan de croissance et de transformation, lancé en 2015, donne la priorité à l’industrie et au développement urbain.
Beaucoup d’études ont été menées et nous ont persuadés de mener une politique ayant un réel impact. L’Éthiopie est devenue un pays pilote à l’échelle internationale. Notre responsabilité est double, à l’égard de nos populations, mais aussi vis-à-vis des autres pays africains, pour leur montrer qu’un tel développement est possible, même dans un pays sans grandes ressources minérales.
La transformation sur place des matières premières agricoles n’est-elle pas la clé de tout développement que les pays africains ont connu depuis des décennies ?
Nous devons investir selon un programme clair, avec une vision, et attirer les investissements de manière réfléchie. Sans vision, nous ne pourrons pas passer les étapes successives du développement. L’Afrique n’a plus le choix. Dans certaines chaînes de valeurs globales, nous devons nous spécialiser et penser à vendre en Afrique. Le commerce régional est encore sous-développé : le commerce entre pays africains représente 10 % du commerce extérieur de l’Afrique, un continent extraverti.
Êtes-vous prêts à attirer les investisseurs à tout prix, au risque de brader les atouts de votre pays tels que les terres arables ?
Le secteur privé a un rôle central à jouer. Qu’ils soient nationaux ou étrangers, tous les investisseurs ont leurs forces et leurs faiblesses. À court terme, les sociétés éthiopiennes n’ont pas la technologie, ni le savoir-faire pour conquérir les marchés internationaux. Elles doivent donc apprendre, dans un premier temps. Il faut savoir que certains secteurs de notre économie sont réservés aux investissements nationaux : la banque, les assurances, les télécommunications et le microcrédit. Les autres filières sont ouvertes à l’investissement direct étranger (IDE), en forte croissance – 24 % par an en moyenne.
Aucun pays ne peut se développer sans IDE, dans un cadre réglementaire clair qui permet de protéger le capital investi et de rapatrier les profits. De grands groupes sont présents, Castel et Heineken dans la brasserie, des sociétés turques dans le textile, d’autres encore dans l’énergie, sans oublier 130 grandes compagnies dans l’horticulture.
Des polémiques ont éclaté autour du land grab, l’accaparement des terres par des acteurs étrangers. Qu’en est-il exactement ?
C’est un faux problème ! La terre est un bien public en Éthiopie, qui peut faire l’objet de concessions pour des durées bien définies. C’est inscrit dans notre constitution. Personne ne confisque les terres chez nous. En raison de considérations politiques ou pour d’autres intérêts, cependant, des membres de l’opposition ainsi que des ONG dénoncent ces contrats comme des accaparements de terres, alors que l’État conserve son contrôle de bout en bout.
L’Éthiopie, pays enclavé, dépend-elle du dynamisme économique de ses voisins ?
Nous avons nos propres politiques, qui nous permettent d’obtenir une croissance soutenue dans une région difficile, la Corne de l’Afrique. Nous sommes un pays stable avec un gouvernement très déterminé, qui organise des processus électoraux transparents menant à des alternances démocratiques, sans aucune tolérance pour la corruption.
Tout ceci nous a permis de développer notre économie ces dix dernières années. Nous investissons dans le rail, l’éducation, la santé et l’agriculture. Les programmes de lutte contre la pauvreté représentent 70 % de nos dépenses. Nos objectifs sur le plan social s’avèrent plus ambitieux que les ODD. Tout ceci a favorisé l’intérêt du secteur privé et de la communauté internationale.
Dernier point : nous ne nous considérons pas comme un pays enclavé, landlocked en anglais, mais comme un pays connecté, autrement dit landlinked. Une voie ferrée relie l’Éthiopie au port de Djibouti, et des corridors terrestres sont en développement vers Port-Soudan et Mombasa au Kenya.
Dans une région troublée, l’Éthiopie représente-t-elle un cas isolé ?
Non, nous appartenons à des blocs régionaux, ce qui nous amène à nous intéresser à la résolution des conflits chez nos voisins. Nous avons d’ailleurs des contingents dans l’Amisom, la mission panafricaine de maintien de la paix en Somalie. Nous nous positionnons comme un modèle à l’égard de nos voisins pour traiter de la question tribale.
Le développement implique-t-il un État fort ?
Le développement repose sur trois grands piliers :
- son caractère inclusif et durable, ancré sur le terrain ;
- la démocratisation en tant que capacité pour un gouvernement à rendre des comptes et à servir une population ;
- la bonne gouvernance, fondamentale pour l’investissement, et qui reste malheureusement un gros problème dans bien des pays d’Afrique.
En Éthiopie, nous menons une politique de « zéro tolérance » à l’égard de la corruption, à quelque niveau que ce soit – même ministériel. Des mesures drastiques ont été prises et des responsables importants ont été traduits en justice.
Les perceptions négatives sur l’Afrique vous pénalisent-elles ?
Elles perdurent en effet, en particulier au sujet de l’Éthiopie, gravement affectée par la famine dans les années 1980. Venir à bout de cette image prendra du temps, mais nous avons déjà commencé à changer les perceptions.
De plus en plus, les perceptions que les Africains peuvent avoir de leurs partenaires vont compter aussi. Bien des pays africains se montrent sceptiques par rapport à l’Europe qui absorbe nos matières premières sans investir sur place pour les transformer. Nous devons développer un partenariat gagnant-gagnant.
Nous aussi sommes confrontés aux défis globaux que sont les migrations et le terrorisme. Nous ne cherchons pas de l’aide, mais des investissements ! Donner des emplois aux jeunes dans nos pays relève de l’urgence. Ces générations émigrent parce qu’elles n’ont pas de perspectives, ni économiques, ni politiques. Nous devons travailler ensemble pour réaliser le potentiel africain.
Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD.