
La corruption reste le principal obstacle au développement économique et social en Afrique et dans le monde. Selon une estimation de la Banque mondiale faite en 2003, pas moins de 1 000 milliards de dollars sont versés en dessous-de-table par an à l’échelle globale. Nicolas Kazadi, économiste originaire de République démocratique du Congo (RDC) et conseiller du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en poste au Togo, revient sur ce problème lancinant, qui ne concerne pas seulement l’Afrique.
Quelle est la situation actuelle en matière de corruption?
La situation est complexe. Mais pour résumer, l’impression qui domine est celle d’un accroissement de la corruption : avec l’augmentation des échanges augmente le nombre des scandales susceptibles d’éclater. Pourtant, depuis les premières initiatives du G7 en 1989, beaucoup a été fait sur le plan normatif pour contrer la grande corruption, notamment transfrontalière, entre pays développés et en développement. Celle-ci est en effet susceptible d’aller jusqu’à nourrir des conflits armés et déstabiliser des pays entiers. La plus grande avancée demeure la convention de l’OCDE signée en 1997 par 41 pays et entrée en vigueur en 1999.
Rétrospectivement, les effets de cette convention s’avèrent variables. Certains pays ont sensiblement changé leurs pratiques et des entreprises ont été condamnées pour leurs agissements à l’étranger, y compris dans les pays en développement. Dans d’autres, comme en France hélas, on s’étonne qu’à ce jour, aucune affaire de corruption internationale n’ait jamais abouti à une condamnation – contre une centaine aux Etats-Unis, cinquante en Allemagne et une trentaine au Royaume-Uni.
Faut-il revoir les termes du débat et sortir des considérations morales ?
Non, l’opinion publique exige avec force que le débat sur la corruption ait cette dimension morale, comme on l’a vu au Burkina Faso depuis la chute du président Blaise Compaoré en octobre 2014.
Mais au-delà de cette remarque, il est dans l’intérêt objectif des Etats de combattre la corruption quand elle atteint des proportions dangereuses. En Chine, les dirigeants ont compris que leur système courait à sa perte s’ils n’agissaient pas de manière vigoureuse. Des sanctions sont prises depuis 2013 à l’encontre de hauts responsables impliqués dans des affaires de corruption, et non plus seulement contre des cadres à des niveaux intermédiaires.
La responsabilité des multinationales est-elle suffisamment discutée et prise en compte ?
Hélas non ! Le cas de la République démocratique du Congo (RDC) est emblématique de ce point de vue. En juin 2000, un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies a avancé que 85 entreprises internationales opérant en RDC avaient violé la convention de l’OCDE. Aucun des pays où ces entreprises ont leur siège social n’a ouvert d’enquêtes sur ce sujet. Bien au contraire, plusieurs gouvernements ont fait pression sur les rapporteurs des Nations unies pour qu’ils retirent les noms de certaines compagnies.
D’autres rapports internationaux encore plus explicites et alarmants ont suivi, notamment le rapport mapping de l’ONU sur les violations des droits de l’homme en RDC entre 1993 et 2003. Ou plus récemment, le rapport de l’Africa Progress Panel présidé par Kofi Annan, qui évoque un manque à gagner pour la RDC de 1,36 milliard de dollars de revenus potentiels entre 2010 et 2012, sur des actifs miniers bradés à des sociétés offshore. Que faut-il de plus pour convaincre ? Le cas de la RDC est une tache indélébile dans la conscience de l’humanité.
Y a-t-il des pays dans le monde, en dehors du Rwanda, qui ont fait des avancées exemplaires ?
Le Rwanda a fait des progrès exceptionnels en ce qui concerne la petite corruption interne. Il n’y a pas de doute. Mais le problème de la corruption va au-delà de ses frontières et des accusations ont été portées au plus haut niveau, devant le Conseil de sécurité des Nations unies notamment, sur l’exploitation illégale des mines du Nord-Kivu en territoire congolais par l’Ouganda et le Rwanda.
Il en est de même pour les pays développés : tous sont plus ou moins exemplaires à l’intérieur de leurs frontières sur le terrain de la petite corruption, mais le problème se situe au niveau des échanges internationaux et de la géopolitique Nord-Sud. En France, aucun gendarme ne va soutirer de l’argent à des automobilistes lors d’un contrôle routier, mais le groupe Thales s’est retrouvé au cœur d’un retentissant procès contre l’actuel président sud-africain Jacob Zuma pour lui avoir versé un pot-de-vin en 1998 lors de la négociation d’importants contrats d’armements passés par l’Afrique du Sud.
En RDC, la bancarisation des fonctionnaires a permis à l’Etat d’économiser des millions de dollars en évitant le détournement de certains salaires et la présence de fonctionnaires fictifs… Est-ce un bon exemple de ce qu’il est possible de faire ?
La bancarisation est une excellente chose. Personne ne peut le nier et il faut l’inscrire au crédit du gouvernement congolais. Mais c’est hélas trop peu au regard des défis économiques de la RDC, corruption comprise. Il faudra, tout d’abord, plus de clarté sur les résultats anti-corruption produits par cette bancarisation. Ensuite, on peut s’interroger sur ce qu’elle représente devant d’autres faits de corruption bien plus graves, comme ce qui se passe au sein de certaines banques, mises en faillite du fait d’actes présentés comme hautement criminels, mais non sanctionnés. Par exemple, l’épargne de centaines de milliers de déposants auprès de la Banque congolaise a été dilapidée sans la moindre indemnisation.
Quels autres outils efficaces sont à la disposition des responsables politiques ?
Pour lutter contre la corruption en Afrique, comme ailleurs, il faut bien entendu reconstruire la crédibilité de l’Etat de droit et de la justice. On assiste de plus en plus à une forme de nihilisme juridique sur le continent africain, qui va des processus électoraux entachés d’irrégularités aux petits litiges devant les tribunaux. Le changement nécessite avant tout un leadership politique d’hommes ou de femmes d’Etat qui allient éthique, compétence et énergie. Par nature, nos systèmes politiques tendent malheureusement à produire des personnalités à l’opposé de ces critères, surtout en ce qui concerne l’éthique.
Sur le plan pratique, il faut engager un dialogue franc et continu avec le secteur privé sur des codes de conduite, des normes et principes à respecter. Il faut aussi protéger la démocratie en renforçant les dispositifs de financement public et privé des partis, réformer la fonction publique en privilégiant la gestion intégrale des ressources humaines comme condition de l’efficacité et de l’éthique au sein des administrations. Il faut accroître la responsabilité individuelle à travers un système fiscal qui systématise la déclaration des revenus et du patrimoine pour les particuliers. La fiscalité doit constituer un verrou essentiel anti-corruption. Le cadre normatif en vigueur à l’échelle internationale permet des synergies intéressantes pour contrer les évasions fiscales. Enfin, il faut accroître l’éducation et la sensibilisation à tous les niveaux, afin de renforcer l’impact sur l’opinion des enquêtes menées par la société civile sur la corruption, par des ONG telles que Transparency International.
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