
La crainte des projets « arbres de noël »
En 2010, la France s’est dotée d’une stratégie nutrition. Elle avait ainsi mis en avant la nécessité d’une approche multisectorielle de cette problématique. Mais cette orientation a été peu mise en œuvre : l’aide française pour la nutrition se restreint essentiellement aux programmes d’aide alimentaire (79% du volume total de l’APD dédiée à la nutrition) [1] ! Elle fait ainsi l’impasse sur toute une palette d’interventions qui pourraient pourtant contribuer significativement à l’éradication de la sous-nutrition.
Pourquoi est-il aussi difficile de mettre cette orientation en œuvre ? Parce que la multisectorialité effraie. La Banque Mondiale dans son rapport « Améliorer la nutrition au moyen d’approches multisectorielles » faisait état de la crainte exprimée par les agents chargés de la sécurité alimentaire de voir fleurir des projets « arbres de Noël» quand ils ont reçu la directive d’intégrer des activités agricoles sensibles à la nutrition. Qu’est-ce qu’un « arbre de noël ? » Dans le jargon, un «arbre de noël » désigne un projet rassemblant des activités diverses mais sans véritable cohérence les unes avec les autres.
La question centrale est donc posée : comment concrétiser de manière efficace l’approche multisectorielle de la nutrition prônée par la France ? Comment la mettre en oeuvre dans un contexte où les allocations financières se font par secteur, où les programmes sont généralement élaborés au sein d’une même division ou département et où l’évaluation des résultats se fait, elle aussi, secteur par secteur ?
La réponse : « Penser de façon multisectorielle, agir sectoriellement.»
Cela consiste à optimiser l’impact nutritionnel de divers secteurs tout en cherchant à assurer, a minima, leur cohérence (minimiser le chevauchement néfaste d’interventions afin d’assurer qu’une intervention n’aille pas à l’encontre d’une autre intervention pouvant être bénéfique pour la nutrition) et, au mieux, leur synergie (conception d’interventions qui inter-agissent afin de maximiser l’impact nutritionnel).
En fonction du contexte, de multiples formes et degrés de collaboration efficace peuvent ainsi être mises en œuvre… pour peu que la nutrition soit identifiée comme objectif.
La Rapport « La Nutrition, l’affaire de tous : recommandations sectorielles pour une approche intégrée de la sous-nutrition » publié tout récemment par le collectif Génération Nutrition (www.generation-nutrition.fr), met en avant des recommandations pour mieux intégrer la nutrition. Sur le plan opérationnel, cela peut se traduire par :
- l’analyse ex-ante des impacts prévisibles des projets, de manière à assurer qu’ils ne nuisent pas au statut nutritionnel et donc à la santé des populations
- la prise en compte de la situation nutritionnelle par l’intégration d’objectifs dédiés dans les zones d’intervention présentant des taux de sous-nutrition élevés.
Quelques recommandations
- Dans le cadre des programmes d’eau-hygiène-assainissement, par exemple, il faudrait renforcer les interventions favorisant la réduction des maladies hydriques et de la sous-nutrition, en particulier la sensibilisation à l’hygiène et l’assainissement, qui accusent un fort retard.
- Dans le cadre de programmes de santé, il faudrait intégrer la prise en charge de la sous-nutrition dans la prise en charge intégrée et habituelle des maladies de l’enfant, au même titre que les autres pathologies, au vu de son impact sur la mortalité infantile et du cercle vicieux qui lie la sous-nutrition de d’autres infections.
- Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, il faut intégrer la sous-nutrition parmi les critères de vulnérabilité en lien avec le changement climatique, notamment dans la grille d’analyse des bailleurs de fonds, tels que l’Agence Française de Développement.
Pour éviter qu’en 2015, plus de 3 millions d’enfants meurent encore des causes de la sous-nutrition, chaussons les lunettes de la nutrition !