
Le bitcoin est une monnaie cryptographique qui fonctionne en s’appuyant sur un réseau pair-à-pair – sans nœud central – d’ordinateurs validateurs qui sont environ 12 000 aujourd’hui. Le fichier qui indique combien détient chaque compte bitcoin est recopié à l’identique dans la mémoire de chaque ordinateur du réseau des validateurs. Ce fichier nommé la « blockchain » est composé de blocs mis les uns derrière les autres, qui ne sont jamais effacés. Aucune autorité ne contrôle le réseau qui fonctionne grâce à ces nœuds validateurs, lesquels se coordonnent et se contrôlent entre eux en échangeant des messages.
Bitcoin : un système fondé sur le volontariat et la récompense
Pour encourager l’existence de nœuds validateurs, le protocole bitcoin inventé par Satochi Nakamoto (le pseudonyme du ou des créateurs du bitcoin dont on ignore l’identité) prévoit une récompense attribuée toutes les dix minutes à l’un des nœuds. Cette récompense était de 50 bitcoins à la mise en marche du réseau en janvier 2009. Les bitcoins attribués sont créés ex nihilo par le réseau. La récompense périodique est divisée par deux tous les quatre ans. Elle est aujourd’hui de 6,25 bitcoins, ce qui, avec un bitcoin oscillant autour de 40 000 euros (au 19 septembre 2021), représente une somme importante distribuée toutes les dix minutes. La décroissance de la récompense conduira à ce que plus aucun bitcoin nouveau ne soit créé vers 2140 ; il y en aura alors un peu moins de 21 millions.
Le nœud récompensé est choisi par le procédé de « la preuve de travail » (proof of work, POW). Il s’agit d’un concours de calcul où pour l’emporter il faut disposer d’une bonne capacité à calculer la fonction SHA256, fonction mathématique utilisée couramment en informatique. Si vous disposez d’une puissance de calcul du SHA256 égale à 10 % de la puissance de calcul cumulée de tous les validateurs, vous gagnerez avec une probabilité de 10 % à chaque nouvelle attribution.
Ce système assure qu’il y a des volontaires validateurs. Il rend difficile la mainmise d’une entité unique sur le fonctionnement du réseau, car pour dominer le réseau il faudrait disposer d’une puissance majoritaire de calcul du SHA256 – on parle « d’attaques 51 % » –, ce qui est difficile s’il y a beaucoup de validateurs disposant chacun d’une importante puissance de calcul.
Vers une course effrénée au calcul
Une course au calcul est née de cette situation. Toutes sortes de moyens ont été développés pour calculer efficacement la fonction SHA256. Après avoir utilisé les ordinateurs courants, on a mis en œuvre des cartes graphiques, et aujourd’hui on conçoit et on fabrique des puces spécialisées (ASIC – Application Specific Integrated Circuit) pour calculer le SHA256. Ceux qui participent au concours de calcul se nomment les « mineurs ». Ils ne sont pas nécessairement validateurs, mais en lien avec un validateur pour lequel ils travaillent, celui-ci partageant ses gains avec les mineurs qui calculent pour lui. On parle de « pool de minage » pour ces regroupements.
Les calculs faits pour gagner la récompense ne sont pas utiles directement au bon fonctionnement des échanges sur le réseau pour se coordonner et mettre à jour simultanément le fichier des comptes. C’est juste un calcul destiné à désigner qui reçoit la récompense. Malgré les progrès très importants dans la conception de puces rapides spécialisées, un minimum de dépense électrique est nécessaire pour chaque calcul du SHA256. La compétition entre les mineurs, petit à petit, a fait croître la puissance du réseau. Voici quelques étapes de cette colossale montée en puissance. Il s’agit à chaque fois de la puissance cumulée de tout le réseau bitcoin, mesurée en nombre de calculs de SHA256 par seconde : 1 hash = 1 calcul de la fonction SHA256.

(données provenant de https://www.blockchain.com/charts/hash-rate)
On a gagné un facteur 10 environ par an !
La consommation d’énergie d’au moins quatre réacteurs nucléaires
L’évaluation de l’électricité utilisée ne peut pas se faire de manière parfaitement précise, mais on peut calculer un nombre minimal de térawattheure (TWh) dépensés par an par le réseau en considérant les machines les plus économes en électricité pour calculer la fonction SHA256, et en faisant l’hypothèse qu’elles seules sont utilisées. On connaît avec une assez grande précision la puissance cumulée des mineurs. Ce total est aujourd’hui (au 19 septembre 2021) d’environ 135 ´ 1018 hash par seconde. La meilleure machine est le AntminerS19Pro qui calcule 110 térahash par seconde. Sa puissance électrique est de 3 250 wattheures (Wh).

Sachant qu’un réacteur nucléaire de puissance moyenne produit environ 8 TWh/an, on voit que le réseau des mineurs consomme l’électricité produite par quatre réacteurs nucléaires ou plus.
Le calcul proposé ici est compatible avec les 40 TWh/an indiqués par Digiconomist et avec les 36 TWh/an du site Cambridge Bitcoin Electricity Consumption Index.
On doit donc considérer que 35 TWh/an sont un minimum totalement sûr. Pour une évaluation plus proche de la réalité, ce résultat doit être doublé ou triplé selon les hypothèses que l’on adopte concernant :
– l’importance des machines moins performantes ;
– le coût du refroidissement des systèmes de calcul ;
– l’énergie dépensée pour fabriquer les outils de minage, les transporter, construire et faire fonctionner les usines, etc.
Du charbon pour alimenter les mineurs de bitcoins
Suite aux mesures d’interdiction du minage prises par les autorités chinoises, les usines minages de Chine qui représentaient plus de 50 % de la puissance du minage du bitcoin ont cessé de fonctionner depuis quelques mois. Une partie d’entre elles s’est installée en Amérique du Nord. L’électricité utilisée provient de diverses sources, mais une part importante provient du charbon. Le site Digiconomist calcule une empreinte carbone de 77 mégatonnes (Mt) de CO2. Comme le cours du bitcoin a été multiplié par cinq depuis un an, on doit s’attendre à une augmentation dans les deux prochaines années d’un facteur cinq de cette consommation électrique déjà faramineuse.
Pourtant cette consommation électrique n’est pas une fatalité, même pour les dispositifs informatiques fonctionnant avec une blockchain. Plusieurs méthodes existent qui peuvent se substituer à la preuve de travail. Il est maintenant établi qu’elles donnent des protocoles aussi sûrs s’accompagnant d’une dépense électrique inférieure à celle de la preuve de travail. L’économie réalisée par certaines méthodes serait de 99,95 %, ce qui ramènerait la consommation électrique d’une blockchain à un niveau parfaitement acceptable.
La situation est donc absurde. La concurrence entre les mineurs a mis en marche une machine infernale qui semble impossible à arrêter et qu’on ne tente même pas de stopper dans le cas du bitcoin. Malheureusement, il est à craindre que les conséquences de l’erreur faite par Nakamoto en choisissant la preuve de travail vont empirer. Deux possibilités existent pour inverser le mouvement : que le cours du bitcoin s’écroule, ou que les autorités qui en ont le pouvoir interviennent.