
Les scénarios de transition bas carbone de l’Agence internationale de l’énergie prévoient une augmentation de la demande de métaux critiques. En effet, la construction d’un panneau solaire ou d’une éolienne peut nécessiter plus d’une dizaine de ressources minérales différentes. Or, cet accroissement des besoins ne pourra pas être immédiatement compensé par l’ouverture de nouvelles mines. Le développement de nouvelles capacités d’extraction est en effet un processus long et coûteux. On estime qu’en moyenne il faut 16,5 ans à un projet minier pour devenir opérationnel, dont 12 ans d’exploration. L’investissement dans de nouveaux projets miniers est aussi dépendant du cours des métaux. Après le commodity super cycle du début des années 2000, qui a conduit à une hausse des prix des matières premières, nous sortons tout juste d’un cycle dépressionnaire qui a considérablement fait chuter les investissements dans de nouvelles mines.
Face aux enjeux miniers, la transition est-elle possible ?
Pourtant, en 2020 et malgré la pandémie de Covid-19, le monde n’a jamais déployé autant d’énergies renouvelables avec 260 gigawatts de capacités nouvelles. Cette tendance participe de l’actuelle remontée du prix des matières premières, particulièrement notable pour les métaux critiques. Alors que le cours du cuivre a récemment atteint son plus haut niveau depuis plus de dix ans, les budgets d’exploration pour cette même matière (qui représentent un cinquième des budgets mondiaux d’exploration) ont diminué de 24 % en 2020. Un décalage particulièrement inquiétant au regard de la baisse du taux de découverte de nouveaux gisements d’importance. Le temps de l’exploration et de l’exploitation minière tend ainsi à se dissocier du temps politique de la transition.
Une hausse de l’extraction minière acceptable et acceptée ?
Même si la disponibilité des réserves, c’est-à-dire les gisements économiquement exploitables, est aujourd’hui de plus en plus conditionnée par des normes sociales et environnementales en progrès, l’extraction minière reste une activité particulièrement nocive pour l’environnement et les populations. Pour les Nations unies, l’extraction des ressources minérales affecte « virtuellement toutes les dimensions de l’Agenda 2030 ». On peut citer en exemple les conflits sur l’usage des sols et des ressources en eau, mais aussi d’évidents problèmes pour la biodiversité. L’exploitation des métaux critiques à elle seule affecte 7 % des « zones clés de biodiversité » de la planète.
Chaque nouveau projet est susceptible d’être confronté à des mouvements de résistances dans les pays développés comme en développement. Au Nord, les populations voient parfois dans la mine une activité industrielle du passé, incompatible avec les objectifs nationaux de transition écologique. Un paradoxe quand on sait que les modes de vie occidentaux n’ont jamais été aussi dépendants de l’extraction minière.
Mais le bouleversement du mode de vie des populations locales, surtout quand il est étroitement lié à l’exploitation de ressources naturelles qui rentrent en conflit avec les besoins de l’extraction minière (eau, sols…), reste la principale source d’opposition aux projets miniers. Menées jusqu’au bout, ces contestations peuvent parfois mener à l’arrêt du projet minier. C’est particulièrement notable en Amérique latine où les contestations sociales autour des ressources en eau sont nombreuses. Au Chili, l’extraction du lithium depuis les salar nécessite d’alimenter des mares d’évaporation très gourmandes en eau, qui dans ces zones désertiques provoque l’opposition des populations indigènes.
Le secteur extractif durable, une simple question de gouvernance ?
Le renforcement de la gouvernance du secteur extractif est souvent mis en avant pour offrir une voie de développement soutenable aux pays producteurs de ressources minérales. Piliers centraux de ce modèle de gouvernance, les compagnies minières pourraient ainsi contribuer au développement local et régional, et parfois même suppléer un État défaillant. Mais, au regard du décalage entre les promesses des compagnies minières et les actions sur le terrain, rapporté notamment par le Responsible Mining Index, il apparaît raisonnable de douter de la compatibilité de ce type de gouvernance avec l’Agenda 2030.
L’International Resource Panel (IRP) avance de son côté un nouveau modèle de gouvernance, compatible avec les Objectifs de développement durable : les licences sociales soutenables à opérer. Ce nouveau paradigme de gouvernance du secteur extractif plaide pour des accords plus équitables, un partage plus égal des bénéfices entre les parties prenantes et un renforcement concerté des instruments de régulation du secteur minier. Cela implique que lorsque les coûts, y compris sociaux et environnementaux, dépassent les bénéfices, il sera nécessaire de « laisser les ressources dans le sol ». Une situation néanmoins difficilement compatible avec la réduction du risque d’approvisionnement des ressources minérales.
Quelle est la nouvelle géopolitique des énergies renouvelables ?
La concentration géographique de l’extraction et de la production de certaines des ressources critiques à la transition énergétique crée une nouvelle géographie de l’énergie, bien différente de celle des ressources fossiles. La Chine, qui détient la vaste majorité des capacités de production de métaux critiques comme les terres rares, le cobalt et le lithium, est évidemment bien placée dans ce bouleversement géopolitique. Face aux risques de restriction des exports rendus possibles par cette dépendance unilatérale sur certains métaux, les États-Unis et l’Union européenne ont eux aussi décidé d’opter pour une stratégie de sécurisation de leur approvisionnement en ressources minérales critiques.
Ces tensions croissantes entre grandes puissances, qui pourraient venir ralentir la transition écologique en cas d’évolution conflictuelle, ne doivent pas faire oublier l’émergence de nouveaux acteurs. Par exemple, la République démocratique du Congo, qui produit la grande majorité du cobalt présent dans les batteries lithium-ion, est aujourd’hui un maillon indispensable des chaînes d’approvisionnement. Ces nouveaux acteurs rendus incontournables par la richesse de leurs sous-sols présentent parfois des fragilités sur le plan politique ou environnemental, qui contribuent à complexifier la chaîne d’approvisionnement en métaux critiques.
Mais il faudra aussi certainement compter sur la résistance des pays producteurs de ressources fossiles qui perdraient sans doute beaucoup à une transition énergétique si rapide. Certains pays asiatiques ont d’ores et déjà annoncé leur opposition à un arrêt immédiat des investissements dans de nouveaux projets fossiles.
Quelle place pour les acteurs du développement dans la régulation minière ?
Les acteurs du développement ont pris depuis 2015 d’importants engagements pour le climat. Mais dans leur forme actuelle, ces engagements sont incomplets. Ils tendent à éclipser la dimension industrielle de la transition énergétique, notamment à marquer une déconnexion entre les enjeux climatiques et l’extraction de ressources minérales. Les acteurs du développement peuvent pourtant participer à améliorer les normes de gouvernance du secteur extractif en contribuant par exemple à évaluer les coûts sociaux et environnementaux de l’extraction minière. En renforçant la gouvernance des activités minières, les acteurs du développement participent aussi à réduire le risque d’approvisionnement des ressources minérales critiques pour la transition énergétique, tout en assumant une vision holistique de cette même transition qui ne laisse pas de côté ses aspects les plus sensibles.
Mais plus largement encore, les acteurs du développement et les bailleurs de fonds ont la capacité de développer des stratégies de développement pleinement compatibles avec l’Accord de Paris en favorisant les investissements de la sobriété énergétique. Cela peut passer par l’investissement dans l’émergence d’organisations urbaines moins axées sur la mobilité individuelle au travers du financement de transports publics, ou d’autres transports sobres en énergie. Cela peut encore passer par des investissements dans l’optimisation des réseaux d’électricité, dans des formes de génération et d’usage de l’énergie en circuit court, dans des dynamiques d’innovations économes en matériaux critiques, notamment dans le domaine du stockage de l’énergie. Enfin les institutions de développement devraient pouvoir contribuer à donner à voir aux pays développés les coûts sociaux et environnementaux souvent non soutenables et trop souvent externalisés de leurs modes de production et de consommation, y compris dans le cadre nouveau des horizons de neutralité carbone adoptés depuis 2020.